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2 septembre 2022

Je crois que si l'on a l'impression qu'on ne dit

Je crois que si l'on a l'impression qu'on ne dit jamais les choses importantes à ceux qu'on aime, que ce sont eux qui à la fois nous "connaissent" le mieux et nous "connaissent" le moins bien (l'identité des deux verbes étant bien sûr un trompe-l'œil), c'est parce qu'on ne parle pas d'amour avec eux, de notre amour, du moins rarement dans le cours de son effectuation la plus concrète. 

De la même façon que j'aurais aimé qu'elle me dise "je t'aime" (je me rappelle, aux tout débuts de nous deux, de sa réponse : "je ne sais pas..."), j'aurais aimé qu'elle me dise "je ne t'aime plus". Seuls ces mots peuvent dire l'amour (ou sa fin) au moment de son effectuation, dans l'instant où il se fait et non pas à distance. Impossible d'avoir une parole extérieure sur l'amour, sinon c'est comme si on comptait des points, on "justifiait" des "mesures", des "décisions", tout un vocabulaire abstrait et juridique qui ne peut convenir au monde de l'amour.

L'impression que dès qu'on a commencé à moins bien aller, c'est-à-dire dès qu'elle a commencé à s'avouer qu'elle ne m'aimait plus, nos échanges consistaient en des "mesures" : quel événement "mériterait" que l'on puisse déclamer telle sentence, combien d'attitudes de telle ou telle nature finiraient par s'additionner pour fournir un tableau compréhensible de l'Autre (lui ou elle) jugé non-compréhensible à telle ou telle occasion, etc. Le plus souvent, pas de reproches d'ordre purement proportionnel se rapportant à une moyenne de comportements (inégalité globale pouvant bien entendu se diffracter dans plusieurs petites inégalités locales), mais une reconstitution des faits en cause, un plaidoyer judiciaire. La parole était tantôt à la défense, tantôt à l'accusation. Nous étions là sans doute dans du sérieux, dans de la vie qui a existé, mais sans que la notion d'amour ne vienne faire cesser les relances infinies de langage (qui avaient leur raison ; il ne s'agit pas de dire que c'était du langage irraisonné). 
Par un "je ne t'aime plus", j'aurais tout de suite mieux compris. Car de mon côté, je pouvais aussi, sur ce terrain du "bilan comportemental", émettre des évaluations, décerner des blames ou des récompenses ; je me serais alors tenu le plus éloigné possible du monde de l'amour, qui ne peut jamais faire d'autre constatation que "il y a amour d'elle", "elle = amour", "je l'aime et à partir de là on va vivre ça".
J'aurais mieux compris si elle m'avait dit "je ne peux plus vivre ça avec toi, puis ça est fini pour moi". Ça aurait été plus clair dans le cadre des coordonnées possibles dans le monde (celui de l'amour) dans lequel on était.

C'est parce qu'il y a eu trop de mots différents, concernant trop de mondes autres, trop d'autres réalités, que je n'ai pas compris, encore aujourd'hui. 
Pas dit que j'aurais mieux compris si simplement ça avait été "fini" (dans le simple monde de l'amour, seule auto-référence possible en son sein bien qu'il soit indicible en lui-même, ce qui explique sans doute qu'on l'évite dans le langage) ; mais au moins j'aurais pu simplement me dire, à la suite, "oui mais moi au moins je l'aime", en le reconnaissant d'emblée, en me reconnaissant en tant que "moi-amour vivant ça avec elle-amour qui ne veut plus". Je me serais peut-être moins menti. Je me serais peut-être "débrouillé" avec ça, comme on dit, puisque c'est de toutes façons le lot de tout le monde de ne pas parler d'amour quand on le vit, je dirais même encore pire, si une telle chose est dicible : de ne jamais vraiment le vivre quand on le vit. 
C'est rare que ça coïncide. Elle m'a mieux connu que personne, elle ne m'a pas vraiment mieux connu que les autres personnes, parfois même moins puisqu'elle a été amenée (comme c'est souvent le cas dans le monde de l'amour) à ne pas tenir le langage qu'il fallait, sans doute par impossibilité de tenir un langage non-dicible (qui aurait été quelque chose comme "moi n'aime plus toi, du moins pas de la manière dont on devait continuer à le vivre"). On s'est tellement connus qu'à la fin on ne se connaissait plus et c'est comme si on ne s'aimait plus, puisque tu ne m'aimais plus et que moi je t'aimais encore en ne comprenant pas le monde dans lequel tu te situais alors que j'aurais voulu te parler d'un autre (mais je ne dis pas que j'arrivais à en parler, pas plus que toi tu n'arrivais à ne pas parler d'autre chose). Et peut-être que tu pourrais dire à peu près la même phrase symétriquement, mais alors il fallait la dire comme ça. En restant dans le monde de l'amour ; car même en le quittant on y reste ; on ne fait même qu'y rester, puisqu'on se positionne en le quittant.

Mais tu diras ce que tu voudras, tu liras ce que tu voudras.

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