Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Définitivement
Publicité
Définitivement
Archives
28 septembre 2018

Vous montrer les mélodies que j'aime, c'est me

Vous montrer les mélodies que j'aime, c'est me mettre tout nu. Écouter mes disques en la présence de quelqu'un d'autre m'a toujours semblé être comme m'exhiber sans pudeur. Je pense sincèrement qu'à partir du moment où quelqu'un sait que ce qui me représente le plus c'est (par exemple) l'album Condition Blue de The Jazz Butcher (toutes les chansons, leur succession, leurs contrastes, leur cœur, leurs tournures), pas la peine de faire l'amour avec moi, c'est déjà tout comme. 

(Je m'en rappelle, je n'arrivais pas à me concentrer quand elle voulait qu'on mette de la musique pendant qu'on le faisait ; j'étais tout entier dans la musique. Chez moi c'est soit l'un, soit l'autre.)

Cette nuit, rêve : j'écoute un disque en la présence de quelqu'un qui n'a pas les mêmes goûts que moi et qui avais l'habitude de multiplier les remarques désobligeantes sur mes choix ; maintenant qu'on est tous les deux matures, je me dis que je pourrai lui faire prendre comprendre ce que je trouve aux différentes sortes de mélodies qui se succèdent : « tu vois, ça c'est telle sorte de mélodie, là maintenant c'est telle autre, tu entends, on la reconnaît par telles caractéristiques, et ensuite on passe à une tournure qui est plutôt de cette sorte-ci, déchirant n'est-ce pas, et puis maintenant forcément c'est un peu plus enjoué, c'est ça la vie ». Il faut expliquer la pop. (Dans le rêve, il a l'air à la fois perplexe et respectueux ; je ne sais pas ce qu'il en serait dans la réalité.)

Hier, retour de l'hôpital : une amie m'envoie un live de ce groupe et de cette chanson qui m'évoquent tant. Que rajouter d'autre ? Je revois une période où j'avais déjà raison, où je sentais bien que j'étais malade mais que ce n'était pas pour ça qu'il ne fallait pas prendre tout ce qu'il y avait à prendre comme intensité possible. Une chanson lente comme ce que je suis devenu et qui contient tout ce que j'aurais pu devenir (et que je suis bel et bien devenu dans la mesure où ce devenir possible m'a porté tout du long). Tout se trouve justifié par un diagnostic : c'était donc bien ça, la pop me l'avait bien dit ! Elle m'avait bien fait comprendre qu'elle était ma béquille, on peut donc tout reprendre au début dans notre tête, refaire le tour des circonstances sans qu'il n'y ait plus de passé, présent ou futur, mais une simple justification perpétuelle, plus sensée que la douleur.

(Et se dire que si on a un jour quelque chose d'intensément grave, prouvé comme tel, on sera consolé par le fait que la pop nous l'avait montré d'avance, du coup on s'y prépare sans s'y préparer – à savoir en y pensant / mais sans que cela vienne gâcher la beauté / puisque cela en fait partie / mais qu'elle est bien plus que cela / mais elle est aussi cela / etc. Si cela arrive, ce sera la preuve que la pop est triste. Si cela n'arrive pas, ce sera la preuve que la pop est belle. Dans les deux cas, elle est ce qu'elle est, elle a raison d'être ce qu'elle est, elle est tout ça.)

Publicité
Publicité
22 septembre 2018

« Tout ou rien », chez moi, ça vient de là : «

« Tout ou rien », chez moi, ça vient de là : « allez, même si tout nous déborde, on va s'efforcer de mener des actions du mieux que l'on peut, mais là oh ! On nous dit qu'on n'a pas fait comme il faut, oh, ok ! Alors ensuite, on va faire sans bruit, de façon réticente, en s'attendant à ce que l'on nous tombe dessus pour le moindre truc, et en fait oh, tiens ! On nous dit rien du tout à ce moment-là, alors que pourtant on croyait qu'ils nous engueulaient pour tout ! Faut-il donc faire tout ou rien ? Si je fais tout, je suis toujours déçu qu'on n'ait pas compris les raisons de tel ou tel embranchement, alors du coup je m'attends à ce que l'on me reproche ce que je n'ai pas fait, du coup tant qu'à faire je ne le fais pas ! En fait, faudrait soit que vous accueilliez tout de moi, soit que vous alliez jusqu'au bout de vos exigences morigénantes, je saurais ainsi mieux me préparer à vous ! »

C'est le problème de l'intention. Qui l'a vraiment traité ? Je ne connais pas bien la philosophie alors s'il vous plaît, indiquez-moi qui a réglé le problème de l'intention (sans en faire une théorie de l'action qui, par définition, fait dégringoler au second plan ce qui nous intéresse ici, l'intention). Je suis rarement d'accord avec les défauts et les qualités que l'on me prête. En gros, ça fait ça : « tu dis que j'ai cette faute-là à mon compte ? Pourtant, si tu savais comme je m'efforce du contraire ! C'est pas comme cette soi-disant beauté que tu me prêtes et qui n'est que calcul en catimini ! Vraiment, tu as tout faux, je suis à la fois bien plus attentionné et bien plus pervers que tu ne le penses ! ». On dirait qu'ils font exprès d'inverser. Mais si l'on perçait l'intention, l'on franchirait les limites de l'opacité et l'on comprendrait alors que dans les élans, ils, nous faisons toujours preuve de grâce, avec ou sans intérêt.  

7 septembre 2018

Détruire ou subvertir ? Le sentiment de gêne que

Détruire ou subvertir ?

Le sentiment de gêne que j'ai toujours ressenti face à la poésie (se pensant comme destruction du langage) ressemble à ma capacité à ne savoir écouter que de la pop (se pensant comme subversion de l'art mélodique).

Oui, "capacité" car assez de se cacher ! La pop est la plus belle stratégie !

Écrire ici, faire croire que je fais des phrases, simuler le discours pour faire naître autre chose (ce que d'aucuns appelaient l'art du détournement) me paraît bien plus adéquat pour ce qui est de la violence langagière à perpétrer.

La pop intelligente décoiffe davantage qu'une non-pop irréfléchie. Le fait que si peu d'esthètes savent l'apprécier m'étonnera toujours.

Comme le disait ma dulcinée qui n'est plus ma dulcinée, en parlant de l'une de mes icônes, « il a vraiment une bonne tête ». Et s'il s'agissait tout simplement d'aimer les artistes pour ce qu'ils sont ? De bons gars. Je ne vois pas ce qu'il y a à opposer à ça. Est-ce vraiment si fréquent ?

Je ne crois pas que j'arriverai à épuiser l'étude des différents tours que peut prendre une bonne mélodie faite par de bons gars qui ont une bonne tête. C'est toute une vie pour la/les saisir. C'est s'arrêter profondément sur un langage, ne pas le contourner trop vite. 

Contourner, c'est faire de grands gestes ridicules. C'est détruire pour rien. 

Subvertir les formes acquises, c'est vraiment montrer le monde et ainsi le dépasser. 

Plonger dans la quintessence pour aller au-delà. Comme faire des phrases qui semblent avoir un projet (plutôt que faire croire que l'on pourrait d'emblée se situer hors de toute causalité, dans une proclamation abstraite et lyrique, risible).

On voit ainsi ce qu'il y a à respecter ou pas dans le souffle transmis. Il restera le meilleur de l'homme : le bon gars et sa mélodie qui est tout ce qu'il y a à savoir. On sent dans leurs voix qu'ils cherchent juste la justesse de la couleur. Ça te suit partout. On est dans leurs voix, dans leurs lignes. Comme ici où j'espère qu'on sent que mon récital se proposait de respecter ma douceur transmuée en maladresse, et vice-versa.

Les anti-pop ne daignent même pas reconnaître que la pop est une chose. Alors qu'au moins, en en faisant, on met les mains dans le cambouis et on la fait accéder au statut qu'on a toujours voulu qu'elle ait. 

Il s'agissait ici autant de prendre pour argent comptant l'image que les autres me renvoyaient de moi que d'aller tellement au bout de ce tableau que cette image se retournerait comme un gant et qu'au final je maîtriserais cette violence et montrerais qu'il n'y a aucune raison que je sois ceci plutôt que cela.

C'est comme la pop : la pop la plus pop dépasse la simple pop (Cocteau Twins, XTC, Scritti Politti...).

Après avoir écrit ces lignes, sort un essai intitulé Dialectique de la pop (Agnès Gayraud, La Découverte, 2018) dont certaines tournures semblent rejoindre mes considérations (la pop est indémêlable de l'anti-pop, la pop est incarnée par des bonnes têtes) mais dont d'autres se situent à l'opposé de mes conceptions (ce qui est peut-être bien une preuve de cette fameuse dialectique) : ainsi, la forme de la pop serait une union utopique des succès quantitatif (populaire) et qualitatif (artistique), tandis que pour ma part je situe l'utopie dans le fait qu'une pureté mélodique puisse se contenter d'être ainsi pour être imparable, indépendamment de ce qu'en pensent les juges du monde, qu'ils soient magnats, prélats ou plèbe. Pour ça que la sobriété souvent souterraine du songwriting a davantage de chances de s'approcher de ce qu'est une mélodie pop en soi que les stars dont tout le monde, cet essai y compris, nous rebat les oreilles.

Pour ça que je milite pour une ontologie de la pop qui traiterait de la mélodie et non de la mythologie. La mythologie est construite par les dominants, l'agrégation, l'idiosyncrasie nationale qui ne retient que ce qu'elle entend (rien de plus ennuyeux que les références alignées par une essayiste française !). Pénétrer les mélodies pourrait être le titre de ma tentative à moi.

Il y a une façon de se trouver dans le fait d'évoluer pop : les groupes que j'aime cheminent en ne laissant pas tomber leur détermination à plonger dans une pureté sans concessions. Prenons Always The Sun (Stranglers) : est-ce vraiment un hymne ? Essayez de chanter le couplet, pour voir ! C'est ça la pop, toujours plus anti-pop donc toujours plus pop donc toujours plus elle-même (je disais l'autre jour à mon meilleur ami : si je préfère la religion à la psychanalyse, c'est parce qu'elle nous dit « trouve-toi » plutôt que « transforme-toi »).

Après l'hyperacousie, j'ai découvert l'hypoglycémie. Parfois les deux en même temps, parfois indépendamment. L'accomplissement de la pop en moi se produit donc sous un certain jour affolé, innervé. Mon cœur s'accélère souvent : l'autre jour, en vibrant sur le plus beau live qui soit, j'ai cru que j'allais vivre le rêve morbide de la crise cardiaque faite sur le groupe qu'on préfère. Mais l'aurait-on su ? Il faudrait que ça se sache pour que ça ait du goût.

Ça prouverait que quand je dis mélodie je dis aussi rythme, que tout concourt pour que ça s'affole et produise de l'intense. Si j'y survis, je le dirai à tout le monde.

1 septembre 2018

Phénoménologie du prolo lettré Il n'est à l'aise

Phénoménologie du prolo lettré

Il n'est à l'aise ni avec la bourgeoisie culturelle ni avec les non-lecteurs. À ne surtout pas confondre avec « l'habitus clivé » du transfuge de classe, ex-prolo devenu lettré, espèce maintes fois étudiée qui n'est pas celle qui nous intéresse ici : nous parlons bien d'une origine sociale prolo lettré, non pas simplement prolo ni lettré. CSP ouvrier ou employé mais bibliothèque fournie des meilleurs livres qui soient ; conscience artistique et politique, politique parce qu'artistique, artistique parce que politique, donc littéralement « on n'en sort pas » : on se sent mal quand on en sort, quand on est chez les autres (bourgeois culturels ou non-lecteurs).

Le prolo devenu lettré souffre de n'avoir jamais considéré la culture comme une évidence, contrairement au bourgeois culturel qui y est né. Pour le prolo lettré, elle est une évidence, mais en quelque sorte c'est bien pire puisque malgré cela il n'en maîtrise pas toutes les clés. Je dirais qu'il se sent en famille quand il entend les intellectuels parler (ils disent des choses qu'il s'est toujours dit, qu'il a lues ou entraperçues dans la bibliothèque), mais il ne parvient pas à acquérir la même respiration qu'eux, cette aisance, cette confiance, ce rythme serein. Il a l'évidence sans l'aisance. 

Ils semblent l'appeler sans arrêt : « bien sûr que tu fais partie de nous, ne montrons-nous pas le même type de propension, ne ressentons-nous pas le même transport d'accomplissement quand nous touchons aux langages exploratoires et/ou théoriques ? Ta famille aussi se posait pour consommer toutes ces précieuses preuves de la richesse humaine et n'en pensait pas moins ! Ils l'exposaient à leur façon, c'était une façon comme une autre, ils n'avaient pas moins compris que nous puisqu'ils nous fréquentaient ! Alors à ton tour de nous fréquenter, et proprement dit cette fois-ci ! ». Mais quand on s'y essaye il y a toujours un certain décalage, une capacité morphologique qui fait défaut : on souhaiterait pourtant s'y fondre, mais on n'enfile pas complètement la peau. On est pourtant bien formé (on n'a pas à “s'y conformer”, contrairement au prolo non lettré), mais ça bâille entre les jambes, ça tire sur les manches, ça gratte dans l'étiquette. 

On se voit l'être.

Il nous apparaît que le converti (prolo transclasse) investit mieux le vêtement ; il n'a pas le choix, il faut qu'il l'endosse. Le prolo déjà lettré n'a pas à investir quoi que ce soit et c'est bien là tout le problème. C'est parce qu'il lui semble tant l'être, sans médiation, réflexion ni réalisation qu'une fois qu'il a à apparaître à lui-même ou dans le monde comme tel, il ne réalise que trop tardivement et douloureusement qu'il ne peut s'empêcher de se considérer comme tel à tout instant, alors qu'une évidence n'a normalement pas besoin d'être considérée. 

Le bourgeois culturel ne sait souvent pas qui il est, et même quand il le sait cela n'enlève rien au fait qu'il poursuit sa pratique consistant à l'être. Le prolo devenu lettré est devenu ; quand il se regarde, c'est pour constater qu'il l'est, avec fierté et douleur mêlées, tiraillements par définition opaques même quand ils sont conscients. Le prolo lettré s'observe avec évidence, assertion oxymorique : l'enfer !

Il bute sur ce ressassement : je suis là où je devais être, c'est transparent, aucun drame social là-dessous, mais je ne peux m'empêcher de me le répéter comme si quelque chose clochait ; des pieds à la tête, je suis un cultureux ; mais le fait même de devoir me le répéter constitue la preuve que cela ne va pas tout à fait de soi. 

Quel langage nous manque t-il ? Je ne crois pas qu'on puisse le définir comme corporel (ce manque et ce langage). Nos malaises viennent plutôt d'un surplus : un langage mental est là qui ne devrait pas, dont les bourgeois ne s'embarrassent pas ; un langage qui relève du mal de mer. Nous avons navigué dans nos bibliothèques sans vraiment de balises, ça chaloupait sûrement trop pour pouvoir parvenir à une certitude rigoureuse. Ce qui nous sépare des bourgeois, c'est la manière de parcourir, ce qui se ressent dans nos syntaxes : ni discipline-et-effort prolétaire, ni "bonne volonté culturelle" petite-bourgeoise, ni décontraction bohème ; plutôt un mélange oxymorique que l'on pourrait nommer maîtrise mal assurée.

Le bourgeois culturel y est en soi (encore plus que "pour soi"), le prolo devenu lettré tenait tant à y accéder, nous prolos lettrés y sommes de-nous-mêmes-mais-du-coup-ça-devient-trop-pour-ce-que-ça-permet-à-notre-échelle. Ça nous déborde. Qu'en faire ?

Les non-lettrés nous semblent si arrogants à énoncer des choses sans savoir ; les bourgeois nous semblent si malotrus à mettre en scène l'évidence sans délicatesse. Je crois que nous aimerions faire de l'évidence une perpétuelle surprise à s'émerveiller, c'est pour cela que nous nous regardons sans cesse l'exposer dans un mélange de frisson et de maladresse : il faut sans cesse nous rendre compte qu'elle existe et que c'est inestimable. On n'en revient encore pas que nos parents aient pu nous offrir ça (tandis que les bourgeois en reviennent). 

Mais n'empêche qu'on s'excuse d'être là.

Publicité
Publicité
Publicité