Deux tableaux se perpétuent :
- Cette bibliothèque où des livres placés trop haut pour moi m'auraient sorti de mes hontes et fixations. Je l'ai déjà dit mais je le redis : je passais devant cent fois par jour et n'en ai jamais pris un seul alors que ma mère m'y aurait incité. Je bute contre ça.
- Cette fameuse année qui m'a laissé un goût d'irréel, où je n'ai rien fait d'autre que me pencher sur moi – tout seul dans un petit appartement, j'avais abandonné le cours des choses pour creuser l'indicible ; j'ai bien senti la gravité morbide mais je n'en étais pas dupe (je ne suis jamais dupe), l'essentiel me paraissant de poser des jalons décentrés, des vues obliques qui ont laissé une incomparable présence sensorielle, une justification émotionnelle que je n'avais pas encore ressentie jusque là et n'ai jamais ressentie de nouveau – hormis dans le domaine de l'amour, qui est à part car les deux pieds dans la vie. Simple "instinct de mort" ? Pas seulement, je crois. Aussi regard en biais sur le positionnement. Donc forte impression forcément.
Ce deuxième tableau, par sa liberté déchirante (c'est moi qui l'ai fait), a remplacé celui qui était à sa place auparavant : celui où, écolier adolescent, je mettais tout dans les historiettes, internes ou externes. J'y avais certes découvert le langage, les traits-constructions de mon monde s'échafaudant sur mes incapacités existentielles, mais je n'étais pas un être présent, étant déjà suffisamment pris par tout ce que suscitait comme joyaux mon absence. Dans le petit appartement, j'ai appris à être là en tant que fil qui passe et fuit. Ça m'a paru déjà mieux de le reconnaître.