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Définitivement

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Définitivement
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4 mars 2024

Quand même moi

Je me rends, chaque année qui passe, de mieux en mieux compte qu'elle est la personne qui m'a le mieux connu. Elle me dit qu'elle a pris des notes sur moi, des répliques insensées. Il vaut mieux prendre des notes en effet. 
Je comprends qu'elle a pu se rendre compte de mon niveau d'irrationalité, particulièrement en ce qui concerne l'argent. Pour me réapproprier le constat, je me dis que je suis d'une espèce sociologique extrêmement rare (rareté attestée par tous les manuels) : prolo lettré mais pas seulement, orphelins de prolos lettrés qui me l'ont transmis matériellement, en espèces sonnantes aisément convertibles en de nombreux biens culturels, mais sans avoir eu le temps de m'en communiquer la sève.
À partir de là, comportements compulsifs encore plus envahissants que les précédents de la lignée (qui avaient déjà leurs tares, d'après des témoignages) ; tout ou presque sera sacrifié à l'aune du Petit Monde d'Objets Spirituels – tenant toute leur place physique au bout d'un moment ! On ne se rendra compte que trop tard qu'ils ne pourront jamais être tous là en même temps, que certains ne peuvent que chasser d'autres. Qu'ils nous font délirer le reste des rapports de valeurs, que tout est faussé lorsqu'on souhaite se projeter dans une autre vie.
Il faudra généralement attendre quelques années avant qu'une erreur soit irrémédiablement fatale, apparaisse comme le choix d'un aliéné incapable de discerner ses bonheurs. Mais telles que les choses avaient été tracées, cela arrivera et le chaos qui en adviendra sera alors le plus gigantesque à surmonter.
Et l'on passera son temps à se demander ce qui nous était bien passé par la tête, en le comprenant toujours moins à mesure que l'on progresse dans ce cercle d'une... inquiétante étrangeté, il faut bien le dire. 

Et l'on comprend à quel point ça a pu épuisé notre partenaire, à la longue. Certains espaces se coloraient très tôt de trop d'angoisses et on ne trouvait pas la force suffisante d'en faire abstraction. Et on cherchait, parfois donc très tôt, à recréer autre chose quelque part ailleurs. Avec parfois toutes les raisons du monde.
Je ne dis pas qu'on n'avait pas concience de ça, de ces espèces de spontanéités – vécues plutôt ainsi que comme de réels "contre-pieds", car la table rase n'était jamais complète, sauf à un regard non complètement observateur – , mais elles m'apparaissaient faire partie de la proposition de Lucas Taïeb.
Autant je ne crois pas avoir eu un jour un quelconque "ego", autant si j'ai cru en quelque chose, c'était en la fidélité, en..., en la nécessité qu'il y avait à tenir la proposition "Lucas Taïeb", pour qui le risque d'engluement était une sorte de peur-panique. Inconvénient : avoir facilement l'impression, vu de l'extérieur (et pas que), que ma vie n'a pas encore commencé. 
(En effet, les autres me semblent presque tous avoir suivi un sens, à défaut de le créer de toutes pièces ; ils peuvent nous lier leur fil linéaire censé. De mon côté, à part dire "Lucas Taïeb" comme si ça pouvait tout dire...)

C'est peut-être ça que je pensais encore pouvoir dire à ma partenaire, même à la toute fin : "mais tout de même, ne crois-tu pas que je suis Lucas Taïeb et que ça peut tout expliquer, à défaut d'absolument tout sauver ?". Je croyais vraiment que dans ce domaine, ça pouvait suffire. Mais il y a plusieurs domaines de l'amour différents.
N'empêche que je continue à apprendre de ce qu'elle a appris de moi. Et que c'est inestimable.

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29 décembre 2023

C'est comme un dialogue que je souhaiterais

C'est comme un dialogue que je souhaiterais maintenir. Je suis sûr qu'on ne s'est pas encore tout dit, que nos individualités actuelles, différentes de celles qui avaient la sensation de ne plus parler le même langage, peuvent user de mots mieux tissés, mieux construits, justement parce qu'il n'y a plus d'enjeu.
C'est justement parce que je sais que ta voix n'est plus tout à fait la même que je suis curieux de l'écouter.
Ce n'est pas ça qui me fait du mal, c'est au contraire le solipsisme qui s'imagine de faire revivre un passé, c'est cela qui me fait paniquer, c'est quand je me rends compte que je ne suis plus qu'un passé. Me faire mieux prendre conscience du présent, c'est ce que j'attends encore de ta voix. C'est cela qui m'intéresse en toi, c'est ton présent. Le reste, c'est quand je panique. 
J'ai cru comprendre que ma voix ne pouvait pour toi que sonner au passé, je comprends, mais je t'assure que je souhaite que la tienne sonne au présent.

11 décembre 2023

Cher,Il n’a jamais été question de quoi que ce

Cher,
Il n’a jamais été question de quoi que ce soit.
Je ne vois pas comment il aurait pu être question de quoi que ce soit à un quelconque moment.
Vous n’auriez de toutes façons pas compris si je m’étais mis en tête de saisir un quelconque objet.
L’objet dans mes mains, généralement, il en ressort une grande confusion ; on peut même aller plus loin et dire que l’objet sort de mes mains, les transperce, ouvre une brèche en elles et ressort par l’autre côté – vous voyez ou pas le tableau, en tout cas c’est imagé.
Je n’ai jamais évoqué d’une quelconque façon quoi que ce soit qui pourrait ou aurait pu ou pourra un jour évoquer une chose que l’on pourrait prendre dans ses mains.
Même au quotidien, je ne vois pas le rapport.
Je ne vois pas le rapport entre ça et ça, par exemple (je ne précise pas mais vous pouvez, avec un peu d’imagination, vous faire une idée de ce que cela pourrait être si ça pouvait être quoi que ce soit).
Ça n’a jamais été quelque chose.
Ça n’a jamais été quelque chose qui existait, dans mes mains.
Ça n’a jamais été quelque chose qui posait problème, le fait que ça n’existe pas ni ici ni ailleurs ni dans mes mains ni sur le dessus de mes pieds (je fais exprès de parler de mes pieds pour faire un peu d’humour).
Il n’en a jamais été question.
Il n’a jamais été question de ce qui aurait pu se passer si cela avait existé. On ne sait pas par quel bout on aurait pu prendre les choses, si cela s’était mis à avoir des chances de se mettre à pouvoir exister d’une quelconque façon, de quel côté l’on se place.
Par quel bout l’on prend les choses, cela aurait toujours pu, à un quelconque moment, n’importe lequel, se mettre à faire semblant de tendre vers la possibilité de l’existence, quand bien même tout certifiait que l’on n’aurait pas pu, sur un quelconque plan duquel on peut ou pourra se placer, se manifester sous quelque forme que ce soit, selon telle ou telle circonstance devant laquelle on aurait pu ou pourrait se trouver.
Sous quoi que ce soit, sous n’importe quelle forme possiblement prise (sous mes pieds, entre mes mains, entre mes doigts de mains, entre mes doigts de pieds), il ne peut aucunement, à aucun moment, être question de l’éventuelle tendance ou possibilité à pouvoir ressembler à un être circonscrit ou circonscrivable, que ce soit entre mes mains/pieds, mais plus généralement où que ce soit, n’ayant plus besoin de le rappeler à ce stade.
On ne peut en aucune façon évoquer, ne serait-ce que comme une hypothèse, l’idée que cela aurait nécessairement fini par se rapprocher, d’une quelconque façon, d’une quelconque sorte de phénomène pouvant possiblement ou potentiellement ressembler à quelque chose qui pourrait ou pourra ou a pu déjà auparavant être évoqué ou mentionné lors d’une quelconque occasion, sous quel moment que l’on se place, selon quelle vague l’on choisit de prendre, sur quel échafaudage l’on choisit de construire son écheveau de possibilités de choses qui finiraient par arriver.
Sous ou sur ou entre ou par-dessus ou par-dessous voire par en dessus ou par en dessous, il ne pourra, tant que quelqu’un (ou pas) sera là, apparaître d’une quelconque manière ou façon, une quelconque façon ou question ou rêve de possibilité potentielle selon laquelle, hors de toute condition quelconque et possiblement émise, il puisse y avoir quelque chose ou quoi que ce soit pouvant être évoqué, indépendamment de la négation, validée sous huissier (dessous ou dessus ou entre ses doigts de pieds, mains, etc.), de tout ce qui aura constitué la potentialité à peine émise sérieusement d’une quelconque sorte, d’un quelconque type de constatation ou à défaut de relation voire de rapport entre ça, pris en soi-même et sous une quelconque etc., et ça, autre forme possible pouvant donc possiblement, par conséquent, etc.
Veuillez agréer, etc. 
Formules de rigueur mais toujours sans s’avancer, sans ouvrir en aucune façon le rideau. Terminer par une remarque sur l’état de santé du petit (ou du niveau atteint par sa marche… sur ses pieds, comme par hasard – reprendre ce point, voir plus tard).
Envoyer. 

4 décembre 2023

IMPOSSIBLE(août 2023) Ça, c’est possible.Je veux

IMPOSSIBLE
(août 2023)

Ça, c’est possible.
Je veux dire dans le sens complet de possible, pas dans le sens diminué qu’a pris par exemple l’expression « sans doute » que l’on dit lorsqu’on n’est pas sûr (!).
C’est possible : ma mère est morte.
À savoir : je le crois, cela s’est passé. C’était il y a quasiment vingt-neuf ans maintenant et je suis actuellement chez l’une de ses amies, entre ses murs qui sont possibles aussi. Je suis arrivé tout à l’heure en train, on a déjà eu le temps de pas mal discuter, c’était possible, tout cela était possible.
Il y a bien quelque chose qui cloche un peu en arrière-fond, je ne devrais pas être là à être tout seul à écrire, mais ma foi le cadre me renvoie quelque chose de possible puisque c’est comme si j’étais né avec la mort de ma mère (mes premiers souvenirs clairs) et qu’on est sûrement partis pour l’évoquer souvent avec cette amie (ma mère comme sa mort).
D’habitude, quand je me réveille le matin (et cela me le fera peut-être demain, je ne sais pas, je n’ai pas encore dormi ici), vient tout de suite ce sentiment : IMPOSSIBLE.
À savoir : ça ne s’est pas passé, je ne suis pas tout seul. Il y a ton bras, ton épaule, tes cheveux à mes côtés. S’il n’y a pas cela, c’est IMPOSSIBLE. Tout est impossible. Tout prend la gueule de l’impossible, je fais semblant (par exemple) de croire que je marche mais de toutes façons il faut prendre ça à la légère, que je me casse la gueule ou pas, puisque c’est impossible.
Les gens qui rient, ha ha ha : impossible.
Les gens qui pleurent, bouh bouh bouh : impossible.
Longtemps je n’ai fait ni l’un ni l’autre, depuis que je me suis aperçu que C’était (avec un grand C : le fait que tu avais choisi de ne plus être avec moi) impossible. Resté figé, je suis. Sans spécialement rire de moi, ce que je fais pourtant volontiers, ni sans spécialement pleurer ou alors très peu souvent par rapport à ce qu’aurait dû être la prise de conscience de l’impossible.
Mais c’est venu, un jour, un matin (je crois) : en fait c’est impossible. Plus de trois ans après, je crois, je m’en suis rendu compte. Pourquoi si tard ? Parce qu’il fallait bien (c’est mon hypothèse) me faire croire que la réalité vivait encore. Le contraire est difficile.
Donc vous voyez : rien à voir avec la maman morte, la maman morte je sais bien que c’est possible, je ne le sais même que trop bien puisque sans cela je ne serais pas là aujourd’hui où je suis à écrire ce que j’écris, alors que toi qui un jour as décidé de n’être plus là tout en existant encore dans ta vie, c’est impossible puisqu’alors cela voudrait dire que je serais sans toi, or cette partie du texte est impossible. Cela n’a pas pu avoir lieu.
La preuve : on échange des messages, c’est donc que tu es là. Et à partir de là, que je devrais être avec toi.

La première psy elle a dit que ça devait être la maman morte qui expliquait pourquoi je n’arrivais pas à me faire à l’idée que l’impossible était possible, alors que je ne vois pas le rapport : j’ai tout de suite compris quand la maman elle est morte, je l’ai vue partir pendant de longs mois, j’étais prévenu, peut-être pas « préparé » comme on pourrait dire qu’on se « prépare », mais en tout cas prévenu. Elle s’éteignait. Je savais donc que ça allait être possible.
Toi, tu ne t’es jamais éteinte. Des fois même c’était presque le contraire, tu as tellement existé que tout ce que tu as pu dire sur moi, le plus souvent contre moi, résonne encore aujourd’hui. Il y avait des arguments défendables. Mais le possible ou l’impossible d’une voix et d’une peau comme la tienne ne se jugent pas à l’aune d’arguments, ne se jugent même pas du tout, il n’y a pas de jugement possible. Tu étais là, près de moi, même dans tes colères tu rayonnais. Je ne savais plus très bien au bout du compte (encore moins maintenant) ce que je pouvais bien penser de moi, mais en tout cas tout relevait du possible, de l’existant. C’est pour ça que le jour où tu m’as dit que tu ne voulais plus exister à mes côtés, ça ne pouvait qu’être impossible. J’ai mis un peu de temps à m’en rendre compte (comme je l’ai dit) mais c’était forcément impossible. Encore là maintenant, précisément : IMPOSSIBLE. Hé ho, tu réponds pas ? Hé ben non car tu n’es pas à côté : impossible – tandis que la maman morte je sais bien qu’elle n’est plus là, dès la première seconde où on me l’a dit j’ai su que c’était possible et ça n’a jamais plus cessé ensuite.

Soudain, le lendemain : une photo de ma mère jeune que je ne connaissais pas (la photo, pas ma mère, quoiqu’en fait les deux). Et là le problème c’est que j’aurais tout de suite envie de te dire : « t’as vu comme elle était belle, ma mère ? », alors que bien sûr tu n’es plus là pour entendre. Actuellement, d’après les réseaux sociaux, tu es en train de recueillir un chat abandonné chez toi. Ça aussi (comme tout le reste, comme tout le possible), j’aurais aimé le faire avec toi. Sauf que c’est un autre qui le fait, en plus il est barbu (je sais pas pourquoi je précise ça). Par ailleurs, hier soir, preuve que tout ça (que les deux éléments de « perte ») ne sont pas pareils : l’amie de la maman morte m’a appris que vers la fin je ne voulais plus l’approcher, lorsqu’elle était alitée, trop défigurée, shootée par la morphine. Or, toi, jusqu’au bout, j’ai toujours voulu t’approcher, même quand tu m’avais dit que ça allait être fini : tu m’as octroyé une dernière nuit dans le même lit et je crois même t’avoir caressé le bras à un moment. Tu as compris, même si tu n’as pas dû apprécier ; c’était la dernière fois, de toutes façons. Comme une faveur. Après je t’ai juste une fois embrassée sur les cheveux et là tu m’as dit « il faudra arrêter les bisous comme ça », alors j’ai définitivement arrêté. Alors voilà, c’était pour dire que jusqu’au bout j’ai pensé (et pense encore) à ta peau. Le contraire serait impossible.

Bon, et le père, alors ? On a l’impression que c’est un passage obligé mais ça tombe bien, j’ai envie de le prendre, ce passage. C’est même plutôt un plaçage, un placement, on dit plutôt. J’étais placé derrière lui qui travaillait. Il travaillait à la maison sur un ordinateur. Au début, dans l’appartement, la maman était dans sa chambre à s’éteindre, puis, lorsqu’il n’y eut plus la maman, on a déménagé mais il a continué à travailler à domicile sur un ordinateur pendant que je passais derrière lui et que je ne savais jamais quand il savait si j’étais là ou pas. Des fois je trouvais qu’on mangeait un peu tard, je grignotais en attendant car je ne savais pas aider. Pourquoi je raconte ça, ah oui : c’est que dans la bibliothèque de la nouvelle maison, quasiment tous les livres viennent de la maman morte. Je les prends comme des messages, elle m’a fait découvrir une sacrée quantité de choses qui marquent. Hé bien pour une fois, là, je lis un livre du père sur la maison, l’espace, qu’il aurait dû lire lors de ses études d’architecture. Ça se voit qu’il ne l’a pas lu ou alors que ça ne lui a pas fait « tilt » car dedans ça parle de comment on se fixe à des espaces, or, lui, il n’a jamais pu investir un espace. On était posés là dans la nouvelle maison sans la maman morte et il n’a quasiment pas fait de travaux alors que c’était son domaine (dans tous les sens du terme). C’était une ancienne usine. C’est bizarre. Les murs ne sont toujours pas peints à ce jour.

Bon, par exemple, hier soir, à un moment, quand l’amie de la maman parlait, je ne l’écoutais pas toujours car mon esprit se mettait à partir avec toi dans ton appartement qui venait de recueillir le chaton femelle auquel tu n’as pas encore donné de nom. Elle fait la folle en courant partout, comme tous les chatons. Cela forme le principal événement de ma semaine, quand est-ce que je ne serai plus avec toi ? Je ne sais pas pourquoi je me pose la question car on entrerait alors dans la description de l’impossible, que je repousse toujours plus loin. Or, on a tout le temps, on n’est pas spécialement engagé à quoi que ce soit et il me paraîtrait même étrange (même si je comprendrais l’idée) de déclarer que je me situe « dans un texte », il ne s’agit pas de ça, on est vraiment dans le possible et l’impossible, sans médiation lorsque je le mets ici. Par exemple, la photo de la maman morte où elle est belle, je l’ai envoyée à l’Ami-par-excellence, il m’a répondu que oui, elle était belle et qu’en plus on avait une ressemblance « saisissante ». Le problème c’est que j’aurais envie de te l’envoyer, pas en te disant « t’as vu comme elle est belle ? » car après tout ce n’est pas le propos, mais juste pour que tu la voies, pour que ce soit possible, qu’une vie où tu puisses la voir soit possible. Car ce qui est possible, c’est qu’elle est morte, pas que tu ne puisses pas la voir. Ça c’est impossible, que cette photo ne te concerne pas plus que ton nouveau chat ne devrait me concerner. Là on rentrerait dans la description de l’impossible.
Je vais quand même te l’envoyer, pour voir.

Avant cela, il me faut rappeler une donnée : tu me l’avais fait remarquer, lorsque je suis fatigué-plus-que-tout (on va dire ça pour faire comprendre l’intensité de la fatigue et pour éviter de citer ce qu’en disait Roland Barthes de la non-prise en compte sociale-mondaine de cette affection
), c’est comme si je me sentais trop déjà disparaître. En fait oui, tu avais à peu près saisi le truc, c’est comme si je partais, que c’était déjà fini, que ça ne devenait plus possible de continuer. Tout lâche d’un coup, c’est déjà un goût de mort. Alors je sens que tout le monde – même toi, sans vraiment me l’avouer explicitement – fait implicitement le lien avec la maman morte, dont j’aurai l’âge dans deux ans. Mais je ne sais pas, c’est juste… ou plutôt c’est surtout (on va faire croire que les mots sont importants) ancré dans le corps. Il sait d’emblée ce qui relève du possible. Ce qui relève du possible, c’est la mort, la mort des gens ou de moi, avec des gens ou personne auprès de moi, mais en tout cas avec toi comme présence effective. Ce qui relève de l’impossible, c’est le déséquilibre, les jambes qui se dérobent, ça il faut faire cesser ça alors autant penser direct à un corps qui serait tellement fatigué-plus-que-tout qu’il serait comme mort. Je comprends maintenant que ça ne devait pas être bien agréable d’assister à ça, mais en tout cas, que tu ne sois plus là pour me dire à quel point c’est insupportable chez moi (et pour moi) cette faiblesse, ça, c’est impossible.

Bon, là, on est le matin et j’ai dû arrêter ma lecture car je pensais au chaton foufou. Hier, pendant que je te suggérais (ironiquement) de (faux) noms possibles (vous l’avez trouvée près de l’eau, sans doute sauvée des eaux, mais vous ne l’appellerez pas Moïse car c’est une femelle), je t’ai aussi envoyé la photo de la maman morte en te disant qu’il n’était pas besoin de te préciser qui c’était, tellement la ressemblance était, comme l’avait dit l’Ami-par-excellence, « saisissante ». Tu as répondu que oui, en effet, il n’était pas besoin de préciser qui c’était, que c’était saisissant, en effet, avec un sourire en smiley. Il y a encore quelques années, quelques mois, j’aurais cru qu’un tel envoi ne te concernait plus. Tu as vu, quelques lignes plus haut j’ai dit « vous » dans la parenthèse, c’est donc que je reconnais enfin son existence, même si elle est impossible : tu es « avec quelqu’un », comme on dit, et j’arrive à associer à ton adresse, à toi, un « il » en « vous » (« vous » en « toi et le chaton » me coûterait moins). En tout cas j’avais raison, c’est impossible que tu ne sois pas là avec moi durant cette émotion, ou tout du moins durant cette constatation, de la photo de ma mère. Tu sais qui je suis, tu sais qui elle a été même si ni toi ni moi ne l’avons connue à proprement parler, et la possibilité (l’une des rares possibilités avérées dans ce monde) de sa mort et de son immortalisation par une photographie affichée dans la bibliothèque de cette amie peut potentiellement encore te concerner avec un smiley sourire, le contraire étant à proprement parler impossible. J’avais raison, ça aurait été impossible.

Aujourd’hui, je repense à la présence en arrière-plan de l’oreiller sur la photo du chaton, le même que « notre » chat, le même que « ton » chat suivant, et j’aurais envie de te dire « il en aura connu, des félins, ce coussin ! » (j’ai dit « oreiller », je voulais dire « coussin »). Je ne sais pas si je te le dirai car ça tu le sais, mais ce serait histoire de me rappeler, à toi plus qu’à moi car c’est comme si tu le savais plus que moi puisque tu vis dans une réalité qui t’apparaît comme possible, que j’ai été là dans ta réalité à toi et à tes successifs « vous » de « toi et le chat » (celui qui était aussi le mien, celui que tu as pris après que tu aies décidé que tu ne serais plus avec moi). J’ai connu ce coussin, le contraire serait impossible. Allez, oui, vous permettez, j’arrête ces lignes et je vais aller te rappeler la réalité du coussin.

Elle a répondu « c’est clair ! » et m’a rappelé l’existence du plaid jaune, du temps où je vivais une réalité possible avec elle. Je suis content qu’elle réponde à chaque fois par l’intermédiaire du réseau, cela montre qu’une réalité sans elle serait impossible. Et je crois qu’elle sent qu’une réalité sans moi serait impossible, même si pas de la même sorte d’impossible. C’est comme si de son côté, j’étais la preuve persistante que quelque chose a existé, tandis que pour moi, elle est la preuve permanente que quelque chose existe toujours. Elle est ce qu’elle sera toujours.

Là, tout à l’heure, dans la voiture, je me sentais partir, et à ce sujet-là tu as raison, ce n’est pas normal de se sentir s’éteindre lorsqu’on se sent partir ; cela devrait plutôt être propice à la « rêverie », comme certains disent. Mais en même temps ma conscience tournait sur les mêmes thèmes qui m’animent dans (ou entre) ces lignes qui ne sont pas un texte : l’impossibilité à circuler là maintenant sur cette place-passager de cette amie de la maman morte, chez qui je ne serais peut-être jamais venu si tu existais encore avec moi dans le monde possible. Certes, on a vu plus haut que tu existais encore dans ce monde : tu me réponds, je sais souvent ce que tu fais, ce qui t’anime – ce qui n’était pas réalisable dans la majeure partie de ce qui s’est pour l’instant appelé des « textes », pour ça que je me demande si ça en est bien un. Je peux savoir à peu près tout le temps ce que tu es en train de faire, ou du moins m’en douter. Mais par contre, cela devrait – normalement, si on était dans le vrai possible – prendre un tour plus concret : je devrais pouvoir entendre ta voix, on devrait pouvoir rigoler avec les rires de nos voix, tu devrais – mais je sais que tu ne le supportais plus, que j’étais devenu une charge à traîner – assister à quand je me sens partir dans une voiture et/ou durant une fatigue et/ou après une douleur, je devrais sentir au moins ton bras, ou ta main, ou simplement ta présence comme on peut sentir sans en douter la présence de quelqu’un d’assis à côté de soi. Mais non, la preuve que je suis dans l’impossible : il n’y a pas, il n’y avait pas du tout ça et c’était justement l’objet de mes pensées vacillantes, tanguant au rythme des cahots. L’objet c’était toujours ça : cet impossible.

Bon, forcément, je me retrouve à demander à l’amie de ma mère : « et alors, elle aimait ce poète, hein ? hein ? hein ? et cet écrivain aussi, n’est-ce pas ? ». Des fois j’ai la réponse que j’attendais et des fois ça ne concorde pas avec ce que m’a dit telle autre amie. « Comment ça, elle ne t’a jamais parlé de Simenon ? ». Il faut croire qu’il n’est pas ou difficilement possible (je ne dis pas « impossible » dans ce domaine puisqu’on est dans la réalité de sa mort) d’avoir le portrait complet, se recoupant mosaïque après mosaïque, de la personne connue par différentes personnes et qui n’est plus là pour dire ce qu’il en est de sa personne. À l’inverse, ce qui est à proprement parler impossible – et qui se trouve être la situation présente – ce serait de concevoir un état de la conversation où je ne peux plus recueillir la parole d’aucun des proches (sœur, parents, oncles et tantes…) concernant la personne – toi – qui a souhaité me perdre un peu – je dis « un peu » car c’est toi qui as tout de suite souhaité qu’on « garde le contact » avant même que mon cerveau ne se rende compte de l’impossibilité globale des nouvelles données « sans-toi-tout-le-temps-présente ». Tu as tout de suite témoigné de ton souhait que l’impossible soit un peu moins impossible. Tu t’en allais, d’accord, ou plutôt c’est moi qui devais décamper, mais sans que ta non-présence ne signifie complètement « absence ». Certes, quelque chose se dérobait encore plus sous mes jambes flageolantes, sans savoir si j’allais encore pouvoir croire en la possibilité d’un impossible vécu, mais au moins tu m’assurais que tu ferais toujours partie du contenu de cet impossible puisque c’était toi qui l’avais créé et que tu souhaitais me le faire vivre plus intensément, d’une certaine façon, en me rappelant à quel point ton absence totale, ton absence « proprement dite » aurait constitué un impossible encore plus inacceptable. Certes, d’accord, c’était impossible ce que tu avais décidé, mais au moins on a pu continuer à en parler, puis tout simplement à exister pour chacun comme individu dans un même monde, sur une même terre. Je ne crois pas que ce paradoxe était problématique puisque bien au contraire, il m’a convaincu que l’impossible pouvait être une situation vécue « en compagnie », pourrait-on dire, de la personne qui n’avait pas le droit de ne plus exister. L’impossible a pu continuer à se déployer, il était vivant, mouvant, évoluant au gré de tes décisions et de mes divers mal-être, et c’est ce qui fait encore aujourd’hui sa richesse. Il prouve ton existence effective, toujours présente, par l’intensité même de l’impossibilité de ton absence – présence comme absence par toi décidées. Je n’ai plus qu’à vivre avec ça. Il ne s’agira pas de croire que c’est autant possible que les choses possibles (la vraie vie, la mort…), mais au moins, les diverses particularités de cet étendard par nous deux choisi, confirmé, accepté plus ou moins (de mon côté) continuent à être évidentes et à lancer un grand « nous » à la face du monde possible continuant à exister sans moi. Oui, on est là, je suis là, tu es là, on vit de cette façon cet impossible que je ressens, je vis de cette façon cet impossible.

Aujourd’hui : tu as enfin trouvé le nom de la minette. Au niveau du pelage elle ressemble beaucoup au chat du voisin d’en face, du coup j’ai fait une vidéo où je le caresse en réponse à la vidéo où tu la montres en train de jouer pendant que tu dévoiles son nom et sa signification. On a fait une balade ce matin avec l’amie de ma mère, et pendant tout le long je ne pensais qu’à la future réponse que tu allais faire à mon commentaire – parce que oui, en plus de la vidéo j’ai aussi fait un commentaire sur le nom. Je suis en quasi-jeûne, comme souvent depuis que je ne crois plus vraiment en la réalité, donc mes sensations sont entremêlées de mélancolie et d’agitation, voire presque d’une colère rentrée – non, c’était juste pour écrire « colère rentrée » mais je ne crois pas que ce soit une description adéquate, « agitation rageusement triste » aurait suffi. Parce qu’il y a des moments où je juge que c’est particulièrement impossible que tu ne sois plus jamais là présente avec ta voix juste à côté – sûrement parce que je venais d’écouter ta voix dans la vidéo du chat et que je l’avais trouvée particulièrement belle. Tu as toujours eu exactement le timbre que j’aimais, je peux te le jurer. Et comme souvent, le fait de discuter avec une autre personne que toi (cela a pu se vérifier plusieurs fois depuis quelques années, depuis que tu as choisi de ne plus être ce que tu as été – et ce que tu es malgré tout encore dans une certaine réalité – pour moi), je disais, le fait de discuter avec une autre personne que toi me rend ta non-présence encore plus impossible. Forme sans doute classique d’impossible.

Contrairement à ce qu’on (qui ?) pourrait penser, je ne crois pas être venu « chercher » quoi que ce soit ici, chez cette amie de la maman morte. Ou si je suis venu chercher quelque chose, c’est comme d’habitude une diversion pour m’occuper l’esprit en me faisant croire que le monde est possible (comme je l’ai dit, ma maman qui est morte, je sais bien que c’est possible, que c’est arrivé). Bien sûr que j’en profite pour attraper au vol des informations, mais je ne crois pas qu’elles me concernent tant que ça puisque je vis désormais dans le monde de l’impossible, à savoir celui de ta non-présence auprès de moi. Alors peut-être que pour continuer à croire en la réalité, je choisis de me rappeler une solidité qui est celle d’une mort représentant en tout point la Possibilité. Mais au fond, c’est un lieu me permettant surtout de travailler en plein cœur de mon Impossibilité à ne pas te penser, toi et toi seule, avec moi. C’est toujours toi le sujet de l’affaire. Même quand j’apprends de nouvelles choses sur la maman, c’est pour me dire « tiens, je le lui aurais dit si elle était venue ici avec moi, bien que l’on eût sans aucun doute fait un autre choix ; il faudrait pour cela consulter les arcanes de la Seule Réalité Possible, perdue de vue depuis que tu as pris cette décision que tu as prise ». Tout est toujours pensé à l’aune de toi. Cela fait un an et un mois que je ne t’ai pas vue, un record. Un record que je n’aime pas, qui a plus que tout le goût de l’impossible.

Alors on va faire un grand jeu-concours : à votre avis, quand j’ai des angoisses de solitude, c’est toute personne existant sur cette terre qui me manque possiblement ou simplement Elle ? Hé bien comme souvent, vous savez, dans ces domaines, c’est toujours un peu des deux. Pour une fois, je ferai dans l’interprétation, alors que ce n’est pas le but ici (bien qu’elle se trace malgré moi) : je crois que si tout le monde se met à me manquer en même temps, c’est parce que derrière, en creux (je crois que j’ai déjà écrit « en creux » une fois dans ce texte, à vérifier ; après vérification : non), c’est Elle qui me manque car Elle contient possiblement toutes les personnes perçues comme affectives, ce serait impossible qu’Elle ne les contienne pas, cela voudrait dire qu’elle aurait choisi de cesser d’être ce qu’elle a été (or, c’est bien ce qui s’est passé, d’où le fait que je sois dans l’impossibilité de ne pas être en plein dans l’impossible). Et pourtant, il faut le savoir, à des moments, ça a vraiment suffi que telle voix (pas d’Elle) se fasse entendre, une voix de l’Ami-par-excellence, par exemple, mais pas forcément, des voix des personnes qui continuent à m’entourer malgré tout, à croire qu’un individu qui ne conçoit toujours pas comme possible une séparation amoureuse ayant eu lieu il y a plus de cinq ans et demi est encore malgré tout possible à fréquenter sans qu’un sentiment d’irréalité ne se répande comme par contagion. Je les salue, je leur en suis reconnaissant. Ils rendent un peu plus possible l’impossible, ou non, quand même pas, mais disons qu’ils rendent à l’impossible toute la dimension possiblement intense-affectivement-malgré-tout qu’il peut être amené à avoir et qu’il arrive presque parfois à assumer.

Ce qu’il faut savoir, c’est que quelque chose a changé récemment, avant même la venue chez l’amie de ma mère. Il y a eu deux extraits de vidéos où on disait du bien de mon travail artistique et quand je les ai vues, si vous suivez bien depuis le début, j’ai tout de suite pensé à lui envoyer (à Elle), parce que c’est le genre de chose qui prouve plus que tout une existence et pas n’importe laquelle, la mienne. Hé bien j’ai même pas eu besoin de le faire parce qu’elle a « liké » les vidéos en question le soir même ! Or, c’est rare quand elle « like » quoi que ce soit de moi, je crois qu’elle a compris que ce n’était pas normal que je me situe encore à ce point dans l’impossible, on en a parlé à plusieurs reprises. Mais là, ça prouvait que je n’avais tout de même pas rien fait de ma vie depuis qu’elle avait disparu du possible de celle-ci. Et ça lui rappelait ce que j’avais voulu être lorsqu’elle était encore en pleine présence effective et qu’elle semblait souvent douter de la réalité ou du moins de la solidité de cette volonté d’être : un artiste. Ça y est, j’étais validé par des vidéos. Je suis sûr que quelque chose a changé depuis ce jour-là, que j’existe davantage comme possible, comme preuve d’une réalité dans son possible à elle, malgré mon impossible à moi. 

[Et voilà, là, ça revient à zéro – je veux dire encore plus qu’avant – car je suis rentré « chez moi » (en fait, ce n’est pas vraiment « chez moi », je n’ai plus connu de « chez-moi » depuis que tu m’as dit, comme on dit, que tu ne voulais plus que je sois « avec toi »). Est-ce que c’est possible de revenir avant même le zéro, en-dessous du zéro ? De toutes façons je viens de me dire que dans tous les cas je pleurerais. Si je revenais dans la réalité possible parce que tu me dirais « allez, on est re-ensemble », ce serait la résolution de tout ce qu’il y a dans mon esprit, j’en suis persuadé, mais alors je m’écroulerais de pleurs, tellement j’aurai amassé un nombre de coups dans le ventre émotionnel, à se croire sans cesse année après année toujours plus bas que la seconde précédente (ou « seconde après seconde toujours plus bas que l’année précédente »). Ce serait un soulagement écroulatoire, comme le sont souvent les soulagements. Ça mettrait direct du drame dans le sauvetage inespéré, si ça se trouve ça durerait même plus de cinq ans et demi de pleurs, je veux dire autant (en temps) que depuis que tu m’as quitté. Et si jamais je restais à tout jamais dans l’impossible, en refusant toute autre vie réelle parce que tu resterais non-présente (l’impossible étant déjà une réalité suffisamment lourde à porter lorsqu’on se charge d’en assumer les conséquences jusqu’au bout), je fondrais bien entendu en larmes tous les jours, pour toujours, à tout jamais, comme en ce moment, comme chaque jour depuis que c’est impossible.] 


(Depuis, l'auteur s'est relevé. Une nouvelle fois. Il n'usera plus du « tu », promis. Ta nouvelle vie te regarde et c'est mieux comme ça. L'essentiel est de te savoir bien, de te savoir mieux, de te savoir bien mieux. Juste le savoir, c'est déjà du possible. Savoir que tu existes encore, c'est encore plus précieux que de savoir que tu as existé. Les deux forment du possible. Je souhaite me dire que tu souriras toujours – oups, dernier « tu ».)

 

2 décembre 2023

« Tu veux manger à la cantine ou avec ta maman ?

« Tu veux manger à la cantine ou avec ta maman ? »


Ma maman était là, était venue à l’école comme pour me chercher, je ne sais plus pourquoi, est-ce que je l’avais réclamée ? J’avais quatre ou cinq ans.
J’ai répondu « à la cantine » sans savoir pourquoi et j’ai l’impression que dès que les mots sont sortis de ma bouche je me suis vu ne pas savoir pourquoi.

Mais bien sûr, plusieurs hypothèses :

– Je reconstruis tout, il m’est revenu ce flash parce que j’avais conscience à cette époque-là que ma mère était malade et que ça a été la dernière fois ou l’une des dernières fois où j’aurais pu manger avec elle, ensuite elle n’a plus pu venir me chercher, donc voilà pourquoi je me souviens de ça et que je m’étonne de la réponse apportée, là, devant ma mère venue pour rien, pour des pleurs à la fois non élucidés et très élucidés puisque je devais sentir la perte s’approcher (elle avait déjà commencé les séjours à l’hôpital)

– Je me suis vu apporter cette étonnante réponse parce que j’ai eu conscience en le disant ou juste après l’avoir dit ou quelques minutes ou quelques heures ou quelques jours plus tard que c’était la mauvaise réponse puisqu’il fallait, qu’il aurait fallu que je profite une dernière fois ou l’une des dernières fois que ma mère soit encore là

– En le disant j’ai fait exprès de choisir cette étonnante réponse car j’ai eu le raisonnement suivant : « il va falloir que je m’habitue à ce qu’elle ne soit plus là, alors autant faire tout de suite mon deuil, je vais manger à la cantine »

– Ce n’est qu’ensuite que je me suis dit que j’avais dû perversement choisir cette étonnante réponse avec le raisonnement suivant que j’ai déjà écrit précédemment

– Cela me revient maintenant car une amie de ma mère chez qui je viens de passer des vacances (on a renoué) m’a dit que ma mère lui avait dit qu’au bout d’un moment, lorsqu’elle a été alitée et trop marquée par la maladie, paralysée, je m’étais mis à ne plus vouloir l’approcher

– Et me revient alors et c’est une explication possible que lorsqu’elle était trop assommée par la morphine, je n’arrivais pas à la réveiller même en bougeant ses bras immobilisés comme des bras de pantin, que je la voyais rêver, murmurer dans son sommeil, parfois même sourire et rire, alors peut-être qu’elle n’a jamais su que je venais quand même parfois la voir mais que ça tombait toujours dans les moments où elle était déjà ailleurs, ce qui n’allait pas tarder à être définitif

– Alors peut-être que si ce souvenir est si précis, c’est peut-être que j’en ai fait une sorte de légende justement parce que ça a été vraiment la dernière fois ou l’une des dernières fois que j’aurais pu manger avec elle et qu’il est devenu ensuite, dans mes souvenirs, comme un moment de culpabilité puisque j’avais choisi la cantine et que si ça se trouve ma mère a senti que je commençais à me préparer à la perte, même si ce n’est pas tout à fait la même période car à l’époque elle pouvait encore se déplacer, la preuve, elle était venue me chercher

– Mais peut-être que ça représente juste, indépendamment de toutes ces données, la première fois où j’aurais dû faire ce qu’en tant qu’être humain, humain inscrit dans la condition humaine, comme on dit quand on prend avec soi de grands mots, humain qui doit toujours choisir, comme dirait l’autre, j’aurais dû faire, à savoir ce qu’en tant qu’humain plongé dans le bain des contingences on est amené à devoir bien faire un jour pour la première fois, à savoir ce pour quoi on est améné à être un humain, à savoir répondre à une demande « alors, ci ou ça ? » et que si je m’en souviens particulièrement c’est seulement pour ça, parce que c’est la première fois que j’ai dû faire un choix en toute liberté, hautement symbolique puisque la personne avec qui on me proposait ou pas de manger allait mourir quelques mois plus tard, ce qui peut favoriser la présence persistante dans le cerveau

– Et donc c’est ensuite, en me revoyant refaire ce choix qui à la base était simplement mon premier choix de vrai être humain, indépendamment de sa forme ou de son contenu, que je me suis vu avec le prisme « mais comment a-t-il ne pas pu choisir sa maman ? l’a-t-il fait exprès ? » et c’est vrai qu’en y repensant, me revient consciemment, précisément (je le dis juste comme ça, là, sans savoir si c’est vrai, mais comme pour tout le reste c’est une possibilité comme une autre), le fait de me dire « allez, je vais faire exprès de dire le contraire de ce que je veux », sans que je puisse en déceler la cause et c’est peut-être pour ça que ça tourne et retourne autant, c’est parce que la cause à élucider c’est ça, c’est pourquoi j’ai délibérément choisi le contraire de ce que j’aurais voulu, à savoir manger avec ma maman qui était ma maman, indépendamment de tout ce qui lui arrivait et lui est arrivé ensuite jusqu’à la fin

– La question serait plutôt alors : est-ce que je me suis vu, dans l’instant même, être perversement contradictoire ? Est-ce qu’il y a eu non seulement, dans l’instant même, décision d’être contraire à mon désir (ce n’est donc pas à proprement parler la définition d’une perversion, ce n’est pas mon domaine mais disons qu’on ne peut qu’y voir une sorte de masochisme) mais, en plus, mauvaise conscience dès l’instant même où je la formulais ? Est-ce qu’en fait ce ne serait pas, en plus ou au lieu de ma première « décision », la première fois où je me suis vu de haut, à distance, comme un jeune humain en train de vivre et de prendre une décision mettant en jeu sa relation contradictoire à sa maman malade ? Être une charge ou ne pas être une charge supplémentaire en plus de la maladie ?

– La question serait alors : est-ce que je n’avais pas l’intuition que je la fatiguais, que je les fatiguais tous, que j’ai toujours fatigué tout le monde même et surtout en ce moment même et que c’est ça qui a fait pencher la balance, le fait de ne pas la fatiguer encore plus qu’elle ne l’était déjà ? Ce serait alors plutôt l’apprentissage soudain que j’étais de trop ou que je me suis vu l’être, indépendamment de la vérité ou non du constat ?

– Mais alors, était-ce de loin ou sur le moment ? Ou attendez, non, pardon, j’ai pas émis les bonnes possibilités en présence : était-ce sur le moment, ou bien à la fois de loin et sur le moment (me voyant de loin sur le moment même) ou bien totalement de loin car après coup ? Ou bien après coup mais un après-coup se penchant bel et bien sur le moment, sur un moment avec juste le nez dans le guidon de la décision, de la décision concernant la maman, manger ou pas avec elle ?

– Je me revois avec ma tête en train de pleurer et avec ma maman mais comme un observateur extérieur, comme d’ailleurs durant les moments où je secouais ses bras de pantin bientôt mort, je me revois être un petit garçon, je me revois même en train de me voir comme un certain petit garçon avec sa maman bientôt morte, alors il me semble que je ne saurai jamais ce qui vient de moi ou ce qui vient de lui.

– Et qu’ai-je encore à voir avec tout ça ?

– Décider de ne plus rien penser de spécial ? 

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22 avril 2023

Je ne sais plus si je l'avais déjà dit (d'une

Je ne sais plus si je l'avais déjà dit (d'une autre façon, sûrement) dans Le seul vrai hétéro, mais après la "rupture" (il paraît qu'on dit comme ça aussi, je commençais à en avoir assez d'écrire "séparation" alors pourquoi pas), je me suis dit que le truc, le projet existentiel qui serait énorme, plus fort que tout, le seul qui me permettrait d'endosser les nouvelles données existentielles, serait celui de l'Amitié plus forte que tout, pas seulement avec elle mais avec toutes les autres individualités excessivement précieuses que je croiserais. 

C'est le seul projet spirituel qui m'allait, de prouver que tout commence, du moins une vie digne, par l'Amitié. 

Il y a, comme toujours dans ce genre de visée, une dimension ascétique : il faut le faire pour proclamer l'Amitié dans un monde où règnent surtout les rencontres à visées utilitaristes précises, fixées une fois pour toutes : "tu es une fille alors je te regarderai de cette façon, nous pourrions avoir possiblement cette relation au sein de l'hétérosexualité, alors dès le départ cela doit occasionner une certaine façon de réciproquement nous comporter". 

L'ascèse, le projet proclamé ne part pas d'une quelconque "abstinence", il dit au contraire : "je ne sais pas ce qu'est l'amour, je ne sais pas ce qu'est le sexe, j'ai oublié ; on va partir sur ça, sur le fait que j'ai oublié ; de ton côté je sais pas, mais du mien je sais que je sens que j'ai envie de recommencer à la base de ce qui nous fait chérir une individualité ; tu es une individualité, point. Et je dirais même : quand bien même je pourrais te regarder autrement, comme une "fille" qui me plaît sous un aspect plus câlinatoire, que je pourrais avoir soudainement avoir envie de prendre dans mes bras, cela ne dit rien sur l'augmentation de contenu perceptif que tu m'offres dès à présent, une perception de ton individualité toute entière, irréductible à des pensées éthérées sur l'odeur de ta peau que je ne connaîtrai peut-être jamais et qui n'a pas à entrer en compte dans l'intensité présente que nous partageons ou du moins tentons le mieux possible, malgré l'adversité, les mauvais réflexes et normes pressantes imprimées en nous, de partager comme de vrais êtres humains augmentés ; augmentés chacun par nous deux, parce que nous sommes chacun, tous les deux." 

21 avril 2023

Le temps-zéro par son expulsionQuel plaisir –

Le temps-zéro par son expulsion

Quel plaisir – non, quand même pas, mais quel soulagement je prends à reproduire l'expulsion. Je rejoue la donne. Sauf que cette fois-ci, c'est moi-même qui me fout dehors, qui me réduit à néant – non, quand même pas, mais à moins que rien. 
Je voudrais ne plus jamais avoir de meubles, jamais, comme je voudrais ne plus avoir de présence, pour que personne n'ait plus jamais à produire mon absence, l'ignorance de moi, etc. Me faire d'emblée tout petit, penser dès maintenant à mon dépérissement, à ma réduction tout minus, autant le dire, à ma disparition, pour que personne n'ait plus à la déclencher à ma place. Que je leur épargne la tâche.

Dès le départ, je savais qu'en me faisant venir dans ce lieu, à l'insu de tout réel, c'était – donc – le déni de tout le réel de ce qu'il s'était passé, à savoir du fait que j'avais été expulsé d'un autre lieu. Je ne pouvais rien avoir à faire dans ce lieu, puisque l'expulsion était comme définitive, encore pas rattrapée en esprit, jamais "soldée", comme on dit, outre-acceptée, anti-advenue. C'était du réel – peut-être même le seul réel, car rien d'autre d'aussi intense n'avait pu se construire à sa suite – mais du réel "non avenu" et donc à partir de là non-dépassable vers un autre réel possible, encore moins dans un lieu où je me retrouvais comme poussé comme de force, à savoir par la mort de son précédent occupant. 

Impossible donc d'y vivre quoi que ce soit pouvant déboucher sur un quelconque avenir possible. 

Mais maintenant que je m'y expulse moi-même, que j'en sors enfin, c'est comme si à la fois je tentais le retournement du temps-zéro par l'affirmation de ma propre faculté à m'expulser de moi-même quand j'en ai envie, comme pour à la fois affirmer que je ne suis réellement que ça depuis l'expulsion, quelqu'un à expulser, quelqu'un à disparaître, quelqu'un à m'évanouir et qu'en même temps c'est moi qui le fais maintenant et en toute conscience, et peut-être bien que c'est en sachant qu'on y va jusqu'au bout qu'on y va vraiment tout au fond, que faire place nette c'est aussi faire place nette de soi, non pas du réel mais de cet irréel – justement – que l'on a fait passer pour soi durant tout le long depuis le début d'avant le temps-zéro, je veux dire lorsqu'il ne s'acceptait pas comme tel, ne se regardait pas suffisamment en face pour se voir comme le début d'un zéro absolu, autant le dire, d'une disparition. 
Cette fois-ci c'est moi qui m'en charge. 

8 mars 2023

La nature technique (mai 2020)tu vois c’est pas

La nature technique

(mai 2020)


tu vois c’est pas compliqué

 

tu prends bien les deux bouts 

de façon symétrique pour qu’ensuite

là tu vois

ils viennent bien se ramener aux jointures

 

pour bien les prendre faut les étirer mais pas trop

juste avec l’extrémité de l’index
et pendant ce temps le pouce permet de les maintenir

enfin les maintenir dans un premier temps 

parce qu’ensuite forcément faut les lâcher d’un coup sec

pour que ça puisse bien s’accoler en s’imprégnant du bord

 

d’un coup sec j’ai dit

tu sais c’que c’est un coup sec ? 

 

attends je vais te montrer ce qui allait pas

t’avais trop mis de pression à la base

enfin trop de pression molle, c’était trop mou 

du coup ça a pas pu se maintenir, rah c’est malin

attends je refais

 

déjà pour commencer quand t’as affaire à un support comme ça

faut que tu t’dises qu’il faut bien vérifier avant 

bien vérifier pour que…

non mais pas vérifier la mine, bêta, qu’est-ce qu’on s’en fout de la mine dans c’contexte !
je parle de vérifier les extrémités, c’est ça dont il faut bien s’assurer

et putain mais libère un peu d’la place sur ton plan d’travail, on n’y voit pas clair

donc je disais, tu vois quand l’extrêmité est retournée comme ça, ben ça marchera jamais

c’est ça qui a merdé tout à l’heure

donc soit t’arranges le coup au ciseau, soit tu compenses

tu préfères quoi, ce serait avec quoi que tu serais le plus à l’aise

plutôt ciseau ou…

nan bon pas ciseau, laisse tomber, faudrait passer par toute la phase de voilure avant et ce serait trop long à t’expliquer

déjà que bon, tu m’as pas l’air…

alors pour la compensation, très simple

soit tu prends appui sur les repères que t’auras tracé avant 

soit tu te repères au bruit 

pour commencer je te conseille de plutôt choisir la seconde

parce que pour les autres repères l’inconvénient c’est…

enfin c’est pas un inconvénient quand on a bien en main le truc mais…

disons que t’auras toujours un décalage de cinq ou six cordes

mais qui est facilement rattrapable la plupart du temps

mais bon, faut connaître

 

et puis faudrait que tu saches anticiper pour bien délier au final…

parce que si tu tombes comme ça dans le déliage sans coup férir

genre « ah oh ça y est, okay, faut que j’délie »

ben c’est déjà trop tard, après t’as toute ta série qui est gâchée

donc pour l’autre repère faut juste bien être stable au sol

pendant que ton pied s’appuie sur la pliure

ton autre pied… ou le même mais c’est plus chaud donc…

donc disons ton autre pied (parce que sinon on n’est pas rendu avec toi)

ton autre pied donc vient délicatement saisir le drapé qui se sera formé

 

ben oui il se sera formé, tu verras

 

crois-moi, ça se drapera, eh oh tu crois que c’est l’enfer ce truc ou quoi ?

la nature technique fait bien les choses, tu sais

donc t’inquiète, fais-moi confiance ça se drapera

et donc ensuite tu fais bien suivre jusqu’au bout du nombre de millimètres que t’auras noté avant

mais en maintenant toujours le décalage à deux doigts du…

enfin disons à fleur de rayon, juste que…

enfin juste comme si tu sentais que hop, il borde le…

enfin presque comme si ça allait déborder mais juste à temps pour qu’il s’adapte au plot

 

oui, au plot, allez vas-y j’te regarde


non mais le plot jaune, putain, pas l’autre !!!!!

bon sang mais ça m’avait jamais fait ça, comment t’as fait pour…?

attends mais comment… je vois pas comment on…

ouais bon forcément si t’as pas pris le jaune ça a tout merdé mais…

mais quand même à ce point, ça avait jamais fait ça !

‘tain, à ce point c’est presque un talent, tu sais

bon allez tant pis, j’le ferai à ta place
occupe-toi plutôt du cernage, ça te f’ra les pieds

et façon d’parler, hein, car souviens-toi que faudra pas bouger pendant le développement !

 

2 mars 2023

J’avais pas senti venir le retour de « ta chatte

J’avais pas senti venir le retour de « ta chatte », « ma chatte » (etc.) dans les mots qui se proclament gaiement.

L’impression d’être encore d’une génération – un peu coincée, comme entre ces tirets – qui réservait ce mot à l’infamie, à la moquerie, si ce n’est à l’injure. Pour moi, c’était la façon qu’avaient « les mecs », ces idiots, de la désigner lorsqu’ils faisaient part de leur violence prédatrice, en récit d’anticipation, d’affabulation ou de reconstitution.

J’avais bien pourtant entendu, une fois, presque « surpris » – j’avais bien pourtant surpris, une fois – une fille plutôt réservée de ma classe de Seconde employer le mot dans un contexte anodin et détendu. Il fallait éviter un obstacle, manier je ne sais plus quel outil de « travaux dirigés » et faire attention car si ça se trouve, si on se positionnait mal devant la paillasse (avec le bec bunsen et tout), ça allait « te rentrer dans la chatte », avec un sourire entendu à son amie (son amie qui, elle, aimait les filles ; l’autre, je ne sais pas).
Mais à part ça, sur toutes ces années, aucune entraperception de « ta chatte » (etc.), or mauvaises fictions salaces.
Pourtant, pour ma part, personnellement, de mon côté, quelque chose me plaisait. Ça sonnait comme il fallait que ça sonne. « Sa chatte ». Tout y était. Je l’écrivais dans mes poèmes d’imagination charnelle. Il y avait quelque chose d’évident.
Était-ce la même évidence du côté des « mecs » ? Il ne me semblait pas. Le mot ne veut pas dire la chose. Il y a l’usage, mais rien ne dit que le paysage implicite derrière est le même.
Je ne me reconnaissais pas dans le paysage de « sa chatte » (lorsqu’il m’arrivait de l’entendre de leur part).
Je me reconnaissais dans le paysage de « sa chatte » (lorsque je le disais juste pour moi).

Puis on grandit, le monde grandit aussi, souvent exactement en même temps que nous (pas forcément, mais quand c’est le cas c’est particulièrement beau), et je me suis mis à assister au retour de « ma chatte » revendiquée. Taguée. Hurlée. Avec le clito bien en avant, bien sûr, que j’avais également croisé dans les deux contextes opposés (littérature à destination de mâles : « le clitoris chaud de Neele » ; littératures politiques d’empowerment de l’autre partie de l’humanité), mais dont la chaleur, cette fois-ci, n’était plus « équivoque », ou plutôt une toute autre sorte d’équivocité. Je n’en pouvais plus depuis longtemps des tags de bites. L’avènement des tagues de chattes, de clitos, me confirma dans mon attachement sensible envers « sa chatte » (etc.). Il y avait quelque chose, c’était maintenant certain et ça ne faisait que commencer.
Je voulais moi aussi en être, crier.
Crier « sa chatte », « ta chatte », « ma chatte ».

La prochaine fois que tu traites sa chatte, elle déferlera sur toi tout ce qu’elle avait gardé en réserve comme déferlement !

(Peut-être un peu long. Je ne sais pas faire court. Ou alors, comme dans d’autres occasions, j’en resterais à « sa chatte », point, ce qui est alors « un peu court », comme on dit.)
(Mais je veux réessayer.)

Pas de concessions envers ma chatte !
Si elle décide de se montrer, va pour.
Si elle veut pas, va chier.
 

Tout ce qu’on a pu raconter sur ta chatte, sur ma chatte, sur sa chatte ! Oui, elles ont tout commis, parfois de leur plein gré, parfois contre leur volonté. Mais que ce soit sa chatte, ma chatte, ta chatte, elles te cracheront toujours à la gueule ! Elles ne sont pas ce qu’elles ont fait ou pas fait, elles sont ma chatte, ta chatte, sa chatte. Que ça te plaise ou non, c’est pareil.

Rêve pas de les approcher, c’est juste ma chatte, sa chatte (etc.).
On ne les approche pas, elles te mordent quand ça leur prend.

Quiconque diffamera la chatte à Sandra recevra le soutien des chattes de toutes ses sœurs et de tous ses frères (si elle en a) ! Quiconque croira que la chatte à Sandra en a quelque chose à foutre qu’on la diffame, celui-là, oui, en fait, n’y comprend rien ! (J’sais pas pourquoi on en parle.)

Ce n’est pas parce qu’on est des « pisseuses » (soi-disant) qu’on pisse sur tout le monde !
Je sais sur qui ma chatte pisse (j’ai ma liste).
Je sais sur qui ta chatte pisse (tu m’as passé la liste).
Je sais sur qui sa chatte pisse (elle nous a raconté).
Mais tout mis bout à bout, rassurez-vous, ça fait pas toute l’humanité, loin de là.

Si l’on apprend qu’on a médit sur une chatte de l’une d’entre nous, 1) on s’en fout, 2) on trouve ça tellement naze qu’on va aller trouver qui s’amuse à passer son temps à juger nos chattes, 3) on juge pas nos chattes, 4) c’est nous qui parlons de nos chattes, 5) c’est moi qui parle de ma chatte. 

Porte haut l’étendard de nos chattes ! Pour cela la tête à l’envers, la pisse le long du corps jusqu’au sol pour kiffer ?
Pas forcément ! Juste une pancarte avec ta chatte peut suffire ! (Ou la mienne, ou la sienne. Toutes différentes mais toutes ensemble.)

Il paraît qu’on les connaît pas bien, que c’est difficile de bien regarder sans miroir, qu’il n’y a que ta ou ton partenaire qui le pourrait le mieux, mais m’en fiche, je la dessine de mémoire ! Comment je la sens ou comment je la rêve ! Je l’ai pas appelée ainsi, on m’a appris à la nommer ainsi, mais j’ai adopté le vocable, en trouvant finalement que ça sonnait comme ça devait sonner. C’est juste ma chatte.
La voici sur l’affiche que je colle juste pour dire que cette fois-ci c’est moi qui en parle, à défaut de choisir comment la nommer.

T’as envie de voir ma chatte, que ma chatte, on dirait ?
Hé ben tu la verras mais ce sera pas celle que tu voudras voir !
Si tu veux, je la mettrai bien en face de ta gueule, pour que tu voies enfin à quoi ça ressemble vraiment, une chatte, dans la vie réelle, et puis pour qu’elle te dégueule dessus, dans la vie imaginaire !

[« Bois mes règles », tag lu dans des chiottes dégenrées en 2018]

Je me dis qu’il faudrait pas passer à côté. Que l’affirmation de « ma chatte » est finalement le dernier « retournement du stigmate », le plus évident, celui pour lequel on se demande pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt (on traite les gens de « cons » depuis je sais pas combien de temps alors que la moitié de l’humanité en est pourvu d’un, il fallait bien que ce « tournant génital du féminisme » – Camille Froidevaux-Metterie – ait lieu un jour).

Et en même temps, paradoxe dont les souvenirs biographiques placés à l’origine de ma mémoire témoignent : les « mecs » voulaient que ça, « de la chatte » (nous reviendrons sur cette tournure réifiante). Le plus fort à faire, le plus fascinant et le plus évident à la fois peut-être (le mot contenant en lui-même l’évidence, comme si « le langage », les phonèmes en savaient toujours plus que nous-mêmes), c’est que « ma chatte » battra toujours à plate-couture toutes les dépossessions possibles, dépossessions se manifestant d’ailleurs généralement par des adjuvants dont le locuteur-prédateur a besoin, comme si sans eux il n’était jamais sûr de son appropriation (et en effet) : c’est avec « la chatte à », « dans ta chatte » qu’on habille l’imprécation. On ne sait pas quoi faire de « ta chatte », point, sans adresse supplémentaire. Il reste juste « sa chatte », « ma chatte » (etc.). C’est pour ça que la réappropriation peut se produire par le même niveau de langue, parce qu’elle possède d’emblée le plein projecteur sur la nudité du pouvoir, à savoir celui qui ne sait pas quoi faire de « sa chatte » hormis bien sûr le pire de ce qu’il pourra faire. Mais dans ce cas alors ça ne concerne plus « sa chatte », mais sa foutue bite à lui. 

 

Dichotomie impossible des rapports hétérosexuels : rapport à soi, à « sa chatte » honteux ; rapport à soi, à son « désir irrépressible pour sa chatte » non-honteux, ultra-légitime.
Cela ne pouvait que donner : « ma chatte dans ta gueule ».
Le « mec » ne peut pas être gagnant dans l’histoire. Ce qu’il voulait, c’est la « posséder », la « pénétrer », pas qu’elle vienne devant sa gueule. Ou alors si elle venait, c’était pour y mettre tout ce qu’il voulait dans le désordre de son esprit ou de son désir, au propre comme au figuré.
Là, il y met rien, c’est pas le sujet de mettre (ou de « pas mettre », d’ailleurs ; on pourra à l’occasion y mettre ce qu’on aura choisi, la parer ou la montrer « telle quelle », si cette expression a un sens).
Le sujet, c’est « ma chatte », point.
C’est « sa chatte », c’est « ta chatte » (etc.).
Il faut qu’on comprenne bien ça. Que c’est s’arrêter là qui renverse le paradigme, qui change la focale. « Ma chatte » : BOUM dans ta gueule.

Les deux écueils opposés : la Chatte divinisée / « ce n’est que de la chatte » (la chatte réifiée).
Or, « ce » n’est jamais « que de » ; c’est au contraire une métonymie qui empuissantise. C’est « sa chatte », « ma chatte », « ta chatte » (etc.).
Ce n’est le temple de rien, ne tend ni à la préservation ni à la souillure, c’est parfois quand je me la souille moi-même que je me la préserve, c’est « ma chatte ».


Ses limites ont été franchies ?
Ses bornes dépassées ?
C’est parce que je le voulais bien !

Toujours à serrer, soit pour rien laisser passer, soit pour bien lui faire sentir qu’il existe. Je serrerai plus jamais, marre. Je desserrerai mais pas comme tu le crois. Comme on desserre une étreinte pour laisser respirer l’oiseau chétif qu’on a trop voulu couver.
Sors de ma chatte !
Ou si t’y rentres, tombes-y pour de bon et qu’on n’en parle plus !

Qu’est-ce qu’on raconte encore sur ma chatte ?
J’entends de ces choses…
Si encore c’est moi qui les racontais…
(Ce serait encore pire.)

Je crois bien qu’en réalité personne ne la connaît.
Pas même moi.
Je dis bien : pas même moi.
Je dis bien que pas même moi ne la connaît.
Je dis bien que même moi je la connais pas.
Vous lui avez parlé, vous ?
Vous savez ce qu’elle pense ?
Est-ce que je lui ai parlé, moi ?
Vous croyez que je lui ai parlé ?
Ça aurait pu me prendre, un temps, mais c’est à tout mon corps que j’aurais voulu m’adresser.
C’est lui qui souffre, c’est lui qui jouit, tout entier sans division.
C’est pas juste ma chatte.
Par contre, elle a sans doute sa propre vision de la question (c’est le cas de le dire), mais ça la regarde.
Ça me regarde aussi, mais c’est ma chatte. Ça regarde ma chatte.

27 février 2023

Mes premières fois – Tu sais ce qu'ils font après

Mes premières fois



– Tu sais ce qu'ils font après ?
Et voilà qu'elle se met à gigoter couchée de côté contre le matelas, comme si elle cherchait des noises au matelas, qu'elle le confrontait en duel. 

Les scènes de sexe visualisées par des enfants trop jeunes seraient apparemment perçues comme des scènes de combat, ici en tout cas c'est une joute ridicule : ma petite camarade, après m'avoir dit que j'étais son mari, provoque le matelas en duel et gigote en travers contre lui. C'est pas sur moi qu'elle devrait gigoter ? Je sais très bien qu'on ne le peut pas encore,  mais ce symbolisme fruste me... frustre (mais pas dans son sens adulte). J'aurais rêvé spectacle plus distrayant, sans forcément en appeler à une nudité prématurée. 

Il n'y a qu'une fois (mais je crois que c'était avant ce que je raconte ici, enfin je ne sais plus) où je sais pas ce qui m'avait pris mais où j'avais voulu que tout le monde se déshabille. 
Sous la couette, certes.
Mais quand même.
(« Comment ça, "certes" ? Mais c'est encore pire !
– Bien sûr que non, pour des enfants, sous la couette ça veut dire qu'on se cache juste. Qu'on va pas déployer autre chose comme scène même si on est tout nus.)

Bien plus tard (en tout cas à l'échelle de ces années), elle, mon alter-ego au sein de ma "famille" : 
– Oups, t'as vu l'endroit ?
Il fallait faire vite fait pour se déshabiller sous les draps dans la tente (on campait) et à un moment un bout de peau, correspondant anatomiquement à l'endroit de son sexe, avait surgi sous mes yeux. Oui, j'avais vu l'endroit. Mais ça ne m'avait rien appris. D'ici, la fente paraissait toute plate.
Or, je savais qu'elle n'était pas plate.
Je le savais depuis que, sans culotte ("ah oui t'as vu elle a pas d'culotte, rholala" : je n'étais pas le seul à l'avoir remarqué), Juliette faisait quand même tous les mouvements prescrits par le jeu de la corde à sauter. J'avais regardé alors vraiment comment ça s'irrisait, se gonflait à l'intérieur. Là, oui, c'était décontenançant. Je crois que là c'est la première fois où j'ai vu à quoi ça ressemblait. Je n'ai jamais perçu ça comme une "fente", c'était bien plutôt une gorge, un système matériellement complexe. "Fente", ça fait petite ouverture métallique. Or, cela ressemblait plutôt à une sorte de mini-gouffre insaisissable, toujours différent, jamais exactement le même, suivant l'angle selon laquel il t'apparaissait. 
Cela n'est guère arrivé souvent, qu'il m'apparût.
(Si ça peut vous rassurer.)

 

La principale fois où on me le montra juste pour me le montrer, on était dans le noir d'un spectacle (salle éteinte), dans le public censé resté silencieux. 
Elle me tapote le bras, façon "hé, viens voir" ou "hé, écoute". 
Je tends l'oreille, mais c'est bien l'œil qu'elle demande. 
(Neuf ou dix ans, on avait tous les deux.)
D'abord elle soulève sa jupe.
Oui, bon, une culotte.
"Euh, il y a le spectacle, là, tu veux pas plutôt...?".
Puis soulève sa culotte, me montre le mini-gouffre et en rajoute en l'écartant tout en me faisant une moue insolente (elle me tire la langue).
"Dégueulasse !", s'exclame notre voisine de derrière qui a tout vu.
Je retiendrai autant ce "dégueulasse" que ce que j'ai vu, comme j'avais retenu le "t'as vu l'endroit ?". 
Je ne trouve pas cet endroit dégueulasse, ni le fait de me le montrer avec outrance tout en rigolant. Il ne m'était rien demandé de plus : de rigoler. Hé bien oui, c'est drôle, un mini-gouffre. C'est beau, même. Étrange, certes, mais beau. (Ce qui est intrigant s'avère toujours être, immanquablement, beau.) 
Elle m'aimait bien, voilà tout.


Plus tard, les démonstrations d'amour se traduiront par, en vrac : 

– Un blotissement le long de mon dos alors que nos situations respectives nous l'auraient interdit (première fois que je me rends compte du potentiel explosif de la peau, de la simple peau d'une Elle contre moi, contre la mienne de peau).

– Un boob-pic (et, il me semble, un pussy-pic) envoyé sans que je n'en ressente l'attente. À partir de là, non, ça allait trop loin, je ne savais plus si j'aimais ça, si je voulais tant que ça ne pas rester puceau. À la gare, la même (tout entière, non découpée, non pixellisée) m'arrache presque la peau près des lèvres (celles de la bouche, me concernant, car je n'ai que celles-ci). 
Je n'ai pas envie de faire tout ce que l'on va être amenés à faire. 
Je découvre que je ne ressens rien au bout du gland, que si ça se trouve, 50 ou 40 ou 30% des mecs ne ressentent rien au bout du gland mais ne le disent pas par crainte de voir leur cote de masculinité baisser. Du coup je fais semblant d'éprouver le plaisir d'une fellation, avec une personne pour qui je ne ressens aucune attirance. 

Oui.
Tout cela a donc très mal commencé. 
Même le goût du savon.
Comme souvent dans ces cas-là, tout va être occasion de dégoût : là je finis par m'apercevoir que ce n'est pas sa chatte qui a ce goût (bien que, de fait, si, aussi), mais que c'est son savon.
Trop pour moi. (Ça devait être "lavande", je déteste "lavande".)
Je dirai devant le juge des amours volontaires et émancipateurs : "c'est elle qui s'est jetée sur moi, après je n'ai rien pu faire !". Elle avait une façon de me garder dans son antre que je ne m'explique pas aujourd'hui. 
Parmi les gens avec qui j'en ai parlé, parfois plus de dix ans plus tard, deux camps : "si tu as pris ça pour une agression, c'est qu'elle t'a agressé", "on est prêt à se nier à ces âges-là, tu voulais juste te nier, te dire que l'étape était passée, voilà".
Elle passa mais avec du temps, car la mononucléose en fut la cerise sur le gâteau. Mon immunité s'en souviendra à tout jamais. (Ça a son côté émouvant.)



Bon, en fait, finalement, qu'est-ce qu'on voit, qu'est-ce qu'on sait de ces choses au final ? (Si l'on excepte bien sûr le "porn" qui nous fait croire qu'on voit tout : on verra peut-être tout, mais pas avec les vrais yeux de notre peau.)
Cela fait aujourd'hui, à l'instant où j'écris, plus de cinq ans que je ne l'ai pas fait (le sexe).
À peu près autant (un peu moins) qu'entre le moment où j'ai vraiment commencé à avoir envie de le faire et le moment où je l'ai "fait" pour la première fois. Mais, comme je l'ai raconté, ce fut un faux "moment". Il ne comptait pas. 
Ce qui a compté, c'est quand elle (une autre, un an plus tard) m'a pris la main et que j'ai pu parcourir la sienne avec mes lèvres. Ça, OK, ça compte. 
Ce qui a compté, c'est quand je lui faisais (à Elle, pas la même) tellement de caresses sur le bras qu'au bout d'un moment c'est son pouls, le pouls de son cou qui a parlé pour elle. On a tout fait ensemble ensuite. On était de vrais corps, de vraies peaux. Ça a duré longtemps. 


Depuis, rien.
Ah si, juste une fois : on m'a taquiné, palpé, pour vérifier que je n'étais pas "pas un mec" et pour savoir combien de temps je tenais sous hypoglycémie avec une fille me faisant ce genre de choses-là.
On n'est pas allés bien loin de toutes façons, je ne pouvais pas et elle ne le voulait pas.
J'ai fini par pouvoir me relever, affamé mais d'autre chose que de peau d'elle.
Mais on s'est quand même fait quelques câlins. Je lui ai massé le dos. Elle aimait bien mes doigts, le mouvement de mes doigts sur son dos, leur "timidité" autant que leur "douceur", je crois. 
Arpenter une peau est de toutes façons, me semble-t-il, la seule chose valant pleinement la peine ici-bas, non ?
Rien d'autre ne s'est passé depuis, pourtant. C'était maintenant il y a plus de deux ans. 
Je ne sais plus si tout ce que je viens de raconter peut encore exister. 
Personne n'en parle à part ici.

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