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4 décembre 2023

IMPOSSIBLE(août 2023) Ça, c’est possible.Je veux

IMPOSSIBLE
(août 2023)

Ça, c’est possible.
Je veux dire dans le sens complet de possible, pas dans le sens diminué qu’a pris par exemple l’expression « sans doute » que l’on dit lorsqu’on n’est pas sûr (!).
C’est possible : ma mère est morte.
À savoir : je le crois, cela s’est passé. C’était il y a quasiment vingt-neuf ans maintenant et je suis actuellement chez l’une de ses amies, entre ses murs qui sont possibles aussi. Je suis arrivé tout à l’heure en train, on a déjà eu le temps de pas mal discuter, c’était possible, tout cela était possible.
Il y a bien quelque chose qui cloche un peu en arrière-fond, je ne devrais pas être là à être tout seul à écrire, mais ma foi le cadre me renvoie quelque chose de possible puisque c’est comme si j’étais né avec la mort de ma mère (mes premiers souvenirs clairs) et qu’on est sûrement partis pour l’évoquer souvent avec cette amie (ma mère comme sa mort).
D’habitude, quand je me réveille le matin (et cela me le fera peut-être demain, je ne sais pas, je n’ai pas encore dormi ici), vient tout de suite ce sentiment : IMPOSSIBLE.
À savoir : ça ne s’est pas passé, je ne suis pas tout seul. Il y a ton bras, ton épaule, tes cheveux à mes côtés. S’il n’y a pas cela, c’est IMPOSSIBLE. Tout est impossible. Tout prend la gueule de l’impossible, je fais semblant (par exemple) de croire que je marche mais de toutes façons il faut prendre ça à la légère, que je me casse la gueule ou pas, puisque c’est impossible.
Les gens qui rient, ha ha ha : impossible.
Les gens qui pleurent, bouh bouh bouh : impossible.
Longtemps je n’ai fait ni l’un ni l’autre, depuis que je me suis aperçu que C’était (avec un grand C : le fait que tu avais choisi de ne plus être avec moi) impossible. Resté figé, je suis. Sans spécialement rire de moi, ce que je fais pourtant volontiers, ni sans spécialement pleurer ou alors très peu souvent par rapport à ce qu’aurait dû être la prise de conscience de l’impossible.
Mais c’est venu, un jour, un matin (je crois) : en fait c’est impossible. Plus de trois ans après, je crois, je m’en suis rendu compte. Pourquoi si tard ? Parce qu’il fallait bien (c’est mon hypothèse) me faire croire que la réalité vivait encore. Le contraire est difficile.
Donc vous voyez : rien à voir avec la maman morte, la maman morte je sais bien que c’est possible, je ne le sais même que trop bien puisque sans cela je ne serais pas là aujourd’hui où je suis à écrire ce que j’écris, alors que toi qui un jour as décidé de n’être plus là tout en existant encore dans ta vie, c’est impossible puisqu’alors cela voudrait dire que je serais sans toi, or cette partie du texte est impossible. Cela n’a pas pu avoir lieu.
La preuve : on échange des messages, c’est donc que tu es là. Et à partir de là, que je devrais être avec toi.

La première psy elle a dit que ça devait être la maman morte qui expliquait pourquoi je n’arrivais pas à me faire à l’idée que l’impossible était possible, alors que je ne vois pas le rapport : j’ai tout de suite compris quand la maman elle est morte, je l’ai vue partir pendant de longs mois, j’étais prévenu, peut-être pas « préparé » comme on pourrait dire qu’on se « prépare », mais en tout cas prévenu. Elle s’éteignait. Je savais donc que ça allait être possible.
Toi, tu ne t’es jamais éteinte. Des fois même c’était presque le contraire, tu as tellement existé que tout ce que tu as pu dire sur moi, le plus souvent contre moi, résonne encore aujourd’hui. Il y avait des arguments défendables. Mais le possible ou l’impossible d’une voix et d’une peau comme la tienne ne se jugent pas à l’aune d’arguments, ne se jugent même pas du tout, il n’y a pas de jugement possible. Tu étais là, près de moi, même dans tes colères tu rayonnais. Je ne savais plus très bien au bout du compte (encore moins maintenant) ce que je pouvais bien penser de moi, mais en tout cas tout relevait du possible, de l’existant. C’est pour ça que le jour où tu m’as dit que tu ne voulais plus exister à mes côtés, ça ne pouvait qu’être impossible. J’ai mis un peu de temps à m’en rendre compte (comme je l’ai dit) mais c’était forcément impossible. Encore là maintenant, précisément : IMPOSSIBLE. Hé ho, tu réponds pas ? Hé ben non car tu n’es pas à côté : impossible – tandis que la maman morte je sais bien qu’elle n’est plus là, dès la première seconde où on me l’a dit j’ai su que c’était possible et ça n’a jamais plus cessé ensuite.

Soudain, le lendemain : une photo de ma mère jeune que je ne connaissais pas (la photo, pas ma mère, quoiqu’en fait les deux). Et là le problème c’est que j’aurais tout de suite envie de te dire : « t’as vu comme elle était belle, ma mère ? », alors que bien sûr tu n’es plus là pour entendre. Actuellement, d’après les réseaux sociaux, tu es en train de recueillir un chat abandonné chez toi. Ça aussi (comme tout le reste, comme tout le possible), j’aurais aimé le faire avec toi. Sauf que c’est un autre qui le fait, en plus il est barbu (je sais pas pourquoi je précise ça). Par ailleurs, hier soir, preuve que tout ça (que les deux éléments de « perte ») ne sont pas pareils : l’amie de la maman morte m’a appris que vers la fin je ne voulais plus l’approcher, lorsqu’elle était alitée, trop défigurée, shootée par la morphine. Or, toi, jusqu’au bout, j’ai toujours voulu t’approcher, même quand tu m’avais dit que ça allait être fini : tu m’as octroyé une dernière nuit dans le même lit et je crois même t’avoir caressé le bras à un moment. Tu as compris, même si tu n’as pas dû apprécier ; c’était la dernière fois, de toutes façons. Comme une faveur. Après je t’ai juste une fois embrassée sur les cheveux et là tu m’as dit « il faudra arrêter les bisous comme ça », alors j’ai définitivement arrêté. Alors voilà, c’était pour dire que jusqu’au bout j’ai pensé (et pense encore) à ta peau. Le contraire serait impossible.

Bon, et le père, alors ? On a l’impression que c’est un passage obligé mais ça tombe bien, j’ai envie de le prendre, ce passage. C’est même plutôt un plaçage, un placement, on dit plutôt. J’étais placé derrière lui qui travaillait. Il travaillait à la maison sur un ordinateur. Au début, dans l’appartement, la maman était dans sa chambre à s’éteindre, puis, lorsqu’il n’y eut plus la maman, on a déménagé mais il a continué à travailler à domicile sur un ordinateur pendant que je passais derrière lui et que je ne savais jamais quand il savait si j’étais là ou pas. Des fois je trouvais qu’on mangeait un peu tard, je grignotais en attendant car je ne savais pas aider. Pourquoi je raconte ça, ah oui : c’est que dans la bibliothèque de la nouvelle maison, quasiment tous les livres viennent de la maman morte. Je les prends comme des messages, elle m’a fait découvrir une sacrée quantité de choses qui marquent. Hé bien pour une fois, là, je lis un livre du père sur la maison, l’espace, qu’il aurait dû lire lors de ses études d’architecture. Ça se voit qu’il ne l’a pas lu ou alors que ça ne lui a pas fait « tilt » car dedans ça parle de comment on se fixe à des espaces, or, lui, il n’a jamais pu investir un espace. On était posés là dans la nouvelle maison sans la maman morte et il n’a quasiment pas fait de travaux alors que c’était son domaine (dans tous les sens du terme). C’était une ancienne usine. C’est bizarre. Les murs ne sont toujours pas peints à ce jour.

Bon, par exemple, hier soir, à un moment, quand l’amie de la maman parlait, je ne l’écoutais pas toujours car mon esprit se mettait à partir avec toi dans ton appartement qui venait de recueillir le chaton femelle auquel tu n’as pas encore donné de nom. Elle fait la folle en courant partout, comme tous les chatons. Cela forme le principal événement de ma semaine, quand est-ce que je ne serai plus avec toi ? Je ne sais pas pourquoi je me pose la question car on entrerait alors dans la description de l’impossible, que je repousse toujours plus loin. Or, on a tout le temps, on n’est pas spécialement engagé à quoi que ce soit et il me paraîtrait même étrange (même si je comprendrais l’idée) de déclarer que je me situe « dans un texte », il ne s’agit pas de ça, on est vraiment dans le possible et l’impossible, sans médiation lorsque je le mets ici. Par exemple, la photo de la maman morte où elle est belle, je l’ai envoyée à l’Ami-par-excellence, il m’a répondu que oui, elle était belle et qu’en plus on avait une ressemblance « saisissante ». Le problème c’est que j’aurais envie de te l’envoyer, pas en te disant « t’as vu comme elle est belle ? » car après tout ce n’est pas le propos, mais juste pour que tu la voies, pour que ce soit possible, qu’une vie où tu puisses la voir soit possible. Car ce qui est possible, c’est qu’elle est morte, pas que tu ne puisses pas la voir. Ça c’est impossible, que cette photo ne te concerne pas plus que ton nouveau chat ne devrait me concerner. Là on rentrerait dans la description de l’impossible.
Je vais quand même te l’envoyer, pour voir.

Avant cela, il me faut rappeler une donnée : tu me l’avais fait remarquer, lorsque je suis fatigué-plus-que-tout (on va dire ça pour faire comprendre l’intensité de la fatigue et pour éviter de citer ce qu’en disait Roland Barthes de la non-prise en compte sociale-mondaine de cette affection
), c’est comme si je me sentais trop déjà disparaître. En fait oui, tu avais à peu près saisi le truc, c’est comme si je partais, que c’était déjà fini, que ça ne devenait plus possible de continuer. Tout lâche d’un coup, c’est déjà un goût de mort. Alors je sens que tout le monde – même toi, sans vraiment me l’avouer explicitement – fait implicitement le lien avec la maman morte, dont j’aurai l’âge dans deux ans. Mais je ne sais pas, c’est juste… ou plutôt c’est surtout (on va faire croire que les mots sont importants) ancré dans le corps. Il sait d’emblée ce qui relève du possible. Ce qui relève du possible, c’est la mort, la mort des gens ou de moi, avec des gens ou personne auprès de moi, mais en tout cas avec toi comme présence effective. Ce qui relève de l’impossible, c’est le déséquilibre, les jambes qui se dérobent, ça il faut faire cesser ça alors autant penser direct à un corps qui serait tellement fatigué-plus-que-tout qu’il serait comme mort. Je comprends maintenant que ça ne devait pas être bien agréable d’assister à ça, mais en tout cas, que tu ne sois plus là pour me dire à quel point c’est insupportable chez moi (et pour moi) cette faiblesse, ça, c’est impossible.

Bon, là, on est le matin et j’ai dû arrêter ma lecture car je pensais au chaton foufou. Hier, pendant que je te suggérais (ironiquement) de (faux) noms possibles (vous l’avez trouvée près de l’eau, sans doute sauvée des eaux, mais vous ne l’appellerez pas Moïse car c’est une femelle), je t’ai aussi envoyé la photo de la maman morte en te disant qu’il n’était pas besoin de te préciser qui c’était, tellement la ressemblance était, comme l’avait dit l’Ami-par-excellence, « saisissante ». Tu as répondu que oui, en effet, il n’était pas besoin de préciser qui c’était, que c’était saisissant, en effet, avec un sourire en smiley. Il y a encore quelques années, quelques mois, j’aurais cru qu’un tel envoi ne te concernait plus. Tu as vu, quelques lignes plus haut j’ai dit « vous » dans la parenthèse, c’est donc que je reconnais enfin son existence, même si elle est impossible : tu es « avec quelqu’un », comme on dit, et j’arrive à associer à ton adresse, à toi, un « il » en « vous » (« vous » en « toi et le chaton » me coûterait moins). En tout cas j’avais raison, c’est impossible que tu ne sois pas là avec moi durant cette émotion, ou tout du moins durant cette constatation, de la photo de ma mère. Tu sais qui je suis, tu sais qui elle a été même si ni toi ni moi ne l’avons connue à proprement parler, et la possibilité (l’une des rares possibilités avérées dans ce monde) de sa mort et de son immortalisation par une photographie affichée dans la bibliothèque de cette amie peut potentiellement encore te concerner avec un smiley sourire, le contraire étant à proprement parler impossible. J’avais raison, ça aurait été impossible.

Aujourd’hui, je repense à la présence en arrière-plan de l’oreiller sur la photo du chaton, le même que « notre » chat, le même que « ton » chat suivant, et j’aurais envie de te dire « il en aura connu, des félins, ce coussin ! » (j’ai dit « oreiller », je voulais dire « coussin »). Je ne sais pas si je te le dirai car ça tu le sais, mais ce serait histoire de me rappeler, à toi plus qu’à moi car c’est comme si tu le savais plus que moi puisque tu vis dans une réalité qui t’apparaît comme possible, que j’ai été là dans ta réalité à toi et à tes successifs « vous » de « toi et le chat » (celui qui était aussi le mien, celui que tu as pris après que tu aies décidé que tu ne serais plus avec moi). J’ai connu ce coussin, le contraire serait impossible. Allez, oui, vous permettez, j’arrête ces lignes et je vais aller te rappeler la réalité du coussin.

Elle a répondu « c’est clair ! » et m’a rappelé l’existence du plaid jaune, du temps où je vivais une réalité possible avec elle. Je suis content qu’elle réponde à chaque fois par l’intermédiaire du réseau, cela montre qu’une réalité sans elle serait impossible. Et je crois qu’elle sent qu’une réalité sans moi serait impossible, même si pas de la même sorte d’impossible. C’est comme si de son côté, j’étais la preuve persistante que quelque chose a existé, tandis que pour moi, elle est la preuve permanente que quelque chose existe toujours. Elle est ce qu’elle sera toujours.

Là, tout à l’heure, dans la voiture, je me sentais partir, et à ce sujet-là tu as raison, ce n’est pas normal de se sentir s’éteindre lorsqu’on se sent partir ; cela devrait plutôt être propice à la « rêverie », comme certains disent. Mais en même temps ma conscience tournait sur les mêmes thèmes qui m’animent dans (ou entre) ces lignes qui ne sont pas un texte : l’impossibilité à circuler là maintenant sur cette place-passager de cette amie de la maman morte, chez qui je ne serais peut-être jamais venu si tu existais encore avec moi dans le monde possible. Certes, on a vu plus haut que tu existais encore dans ce monde : tu me réponds, je sais souvent ce que tu fais, ce qui t’anime – ce qui n’était pas réalisable dans la majeure partie de ce qui s’est pour l’instant appelé des « textes », pour ça que je me demande si ça en est bien un. Je peux savoir à peu près tout le temps ce que tu es en train de faire, ou du moins m’en douter. Mais par contre, cela devrait – normalement, si on était dans le vrai possible – prendre un tour plus concret : je devrais pouvoir entendre ta voix, on devrait pouvoir rigoler avec les rires de nos voix, tu devrais – mais je sais que tu ne le supportais plus, que j’étais devenu une charge à traîner – assister à quand je me sens partir dans une voiture et/ou durant une fatigue et/ou après une douleur, je devrais sentir au moins ton bras, ou ta main, ou simplement ta présence comme on peut sentir sans en douter la présence de quelqu’un d’assis à côté de soi. Mais non, la preuve que je suis dans l’impossible : il n’y a pas, il n’y avait pas du tout ça et c’était justement l’objet de mes pensées vacillantes, tanguant au rythme des cahots. L’objet c’était toujours ça : cet impossible.

Bon, forcément, je me retrouve à demander à l’amie de ma mère : « et alors, elle aimait ce poète, hein ? hein ? hein ? et cet écrivain aussi, n’est-ce pas ? ». Des fois j’ai la réponse que j’attendais et des fois ça ne concorde pas avec ce que m’a dit telle autre amie. « Comment ça, elle ne t’a jamais parlé de Simenon ? ». Il faut croire qu’il n’est pas ou difficilement possible (je ne dis pas « impossible » dans ce domaine puisqu’on est dans la réalité de sa mort) d’avoir le portrait complet, se recoupant mosaïque après mosaïque, de la personne connue par différentes personnes et qui n’est plus là pour dire ce qu’il en est de sa personne. À l’inverse, ce qui est à proprement parler impossible – et qui se trouve être la situation présente – ce serait de concevoir un état de la conversation où je ne peux plus recueillir la parole d’aucun des proches (sœur, parents, oncles et tantes…) concernant la personne – toi – qui a souhaité me perdre un peu – je dis « un peu » car c’est toi qui as tout de suite souhaité qu’on « garde le contact » avant même que mon cerveau ne se rende compte de l’impossibilité globale des nouvelles données « sans-toi-tout-le-temps-présente ». Tu as tout de suite témoigné de ton souhait que l’impossible soit un peu moins impossible. Tu t’en allais, d’accord, ou plutôt c’est moi qui devais décamper, mais sans que ta non-présence ne signifie complètement « absence ». Certes, quelque chose se dérobait encore plus sous mes jambes flageolantes, sans savoir si j’allais encore pouvoir croire en la possibilité d’un impossible vécu, mais au moins tu m’assurais que tu ferais toujours partie du contenu de cet impossible puisque c’était toi qui l’avais créé et que tu souhaitais me le faire vivre plus intensément, d’une certaine façon, en me rappelant à quel point ton absence totale, ton absence « proprement dite » aurait constitué un impossible encore plus inacceptable. Certes, d’accord, c’était impossible ce que tu avais décidé, mais au moins on a pu continuer à en parler, puis tout simplement à exister pour chacun comme individu dans un même monde, sur une même terre. Je ne crois pas que ce paradoxe était problématique puisque bien au contraire, il m’a convaincu que l’impossible pouvait être une situation vécue « en compagnie », pourrait-on dire, de la personne qui n’avait pas le droit de ne plus exister. L’impossible a pu continuer à se déployer, il était vivant, mouvant, évoluant au gré de tes décisions et de mes divers mal-être, et c’est ce qui fait encore aujourd’hui sa richesse. Il prouve ton existence effective, toujours présente, par l’intensité même de l’impossibilité de ton absence – présence comme absence par toi décidées. Je n’ai plus qu’à vivre avec ça. Il ne s’agira pas de croire que c’est autant possible que les choses possibles (la vraie vie, la mort…), mais au moins, les diverses particularités de cet étendard par nous deux choisi, confirmé, accepté plus ou moins (de mon côté) continuent à être évidentes et à lancer un grand « nous » à la face du monde possible continuant à exister sans moi. Oui, on est là, je suis là, tu es là, on vit de cette façon cet impossible que je ressens, je vis de cette façon cet impossible.

Aujourd’hui : tu as enfin trouvé le nom de la minette. Au niveau du pelage elle ressemble beaucoup au chat du voisin d’en face, du coup j’ai fait une vidéo où je le caresse en réponse à la vidéo où tu la montres en train de jouer pendant que tu dévoiles son nom et sa signification. On a fait une balade ce matin avec l’amie de ma mère, et pendant tout le long je ne pensais qu’à la future réponse que tu allais faire à mon commentaire – parce que oui, en plus de la vidéo j’ai aussi fait un commentaire sur le nom. Je suis en quasi-jeûne, comme souvent depuis que je ne crois plus vraiment en la réalité, donc mes sensations sont entremêlées de mélancolie et d’agitation, voire presque d’une colère rentrée – non, c’était juste pour écrire « colère rentrée » mais je ne crois pas que ce soit une description adéquate, « agitation rageusement triste » aurait suffi. Parce qu’il y a des moments où je juge que c’est particulièrement impossible que tu ne sois plus jamais là présente avec ta voix juste à côté – sûrement parce que je venais d’écouter ta voix dans la vidéo du chat et que je l’avais trouvée particulièrement belle. Tu as toujours eu exactement le timbre que j’aimais, je peux te le jurer. Et comme souvent, le fait de discuter avec une autre personne que toi (cela a pu se vérifier plusieurs fois depuis quelques années, depuis que tu as choisi de ne plus être ce que tu as été – et ce que tu es malgré tout encore dans une certaine réalité – pour moi), je disais, le fait de discuter avec une autre personne que toi me rend ta non-présence encore plus impossible. Forme sans doute classique d’impossible.

Contrairement à ce qu’on (qui ?) pourrait penser, je ne crois pas être venu « chercher » quoi que ce soit ici, chez cette amie de la maman morte. Ou si je suis venu chercher quelque chose, c’est comme d’habitude une diversion pour m’occuper l’esprit en me faisant croire que le monde est possible (comme je l’ai dit, ma maman qui est morte, je sais bien que c’est possible, que c’est arrivé). Bien sûr que j’en profite pour attraper au vol des informations, mais je ne crois pas qu’elles me concernent tant que ça puisque je vis désormais dans le monde de l’impossible, à savoir celui de ta non-présence auprès de moi. Alors peut-être que pour continuer à croire en la réalité, je choisis de me rappeler une solidité qui est celle d’une mort représentant en tout point la Possibilité. Mais au fond, c’est un lieu me permettant surtout de travailler en plein cœur de mon Impossibilité à ne pas te penser, toi et toi seule, avec moi. C’est toujours toi le sujet de l’affaire. Même quand j’apprends de nouvelles choses sur la maman, c’est pour me dire « tiens, je le lui aurais dit si elle était venue ici avec moi, bien que l’on eût sans aucun doute fait un autre choix ; il faudrait pour cela consulter les arcanes de la Seule Réalité Possible, perdue de vue depuis que tu as pris cette décision que tu as prise ». Tout est toujours pensé à l’aune de toi. Cela fait un an et un mois que je ne t’ai pas vue, un record. Un record que je n’aime pas, qui a plus que tout le goût de l’impossible.

Alors on va faire un grand jeu-concours : à votre avis, quand j’ai des angoisses de solitude, c’est toute personne existant sur cette terre qui me manque possiblement ou simplement Elle ? Hé bien comme souvent, vous savez, dans ces domaines, c’est toujours un peu des deux. Pour une fois, je ferai dans l’interprétation, alors que ce n’est pas le but ici (bien qu’elle se trace malgré moi) : je crois que si tout le monde se met à me manquer en même temps, c’est parce que derrière, en creux (je crois que j’ai déjà écrit « en creux » une fois dans ce texte, à vérifier ; après vérification : non), c’est Elle qui me manque car Elle contient possiblement toutes les personnes perçues comme affectives, ce serait impossible qu’Elle ne les contienne pas, cela voudrait dire qu’elle aurait choisi de cesser d’être ce qu’elle a été (or, c’est bien ce qui s’est passé, d’où le fait que je sois dans l’impossibilité de ne pas être en plein dans l’impossible). Et pourtant, il faut le savoir, à des moments, ça a vraiment suffi que telle voix (pas d’Elle) se fasse entendre, une voix de l’Ami-par-excellence, par exemple, mais pas forcément, des voix des personnes qui continuent à m’entourer malgré tout, à croire qu’un individu qui ne conçoit toujours pas comme possible une séparation amoureuse ayant eu lieu il y a plus de cinq ans et demi est encore malgré tout possible à fréquenter sans qu’un sentiment d’irréalité ne se répande comme par contagion. Je les salue, je leur en suis reconnaissant. Ils rendent un peu plus possible l’impossible, ou non, quand même pas, mais disons qu’ils rendent à l’impossible toute la dimension possiblement intense-affectivement-malgré-tout qu’il peut être amené à avoir et qu’il arrive presque parfois à assumer.

Ce qu’il faut savoir, c’est que quelque chose a changé récemment, avant même la venue chez l’amie de ma mère. Il y a eu deux extraits de vidéos où on disait du bien de mon travail artistique et quand je les ai vues, si vous suivez bien depuis le début, j’ai tout de suite pensé à lui envoyer (à Elle), parce que c’est le genre de chose qui prouve plus que tout une existence et pas n’importe laquelle, la mienne. Hé bien j’ai même pas eu besoin de le faire parce qu’elle a « liké » les vidéos en question le soir même ! Or, c’est rare quand elle « like » quoi que ce soit de moi, je crois qu’elle a compris que ce n’était pas normal que je me situe encore à ce point dans l’impossible, on en a parlé à plusieurs reprises. Mais là, ça prouvait que je n’avais tout de même pas rien fait de ma vie depuis qu’elle avait disparu du possible de celle-ci. Et ça lui rappelait ce que j’avais voulu être lorsqu’elle était encore en pleine présence effective et qu’elle semblait souvent douter de la réalité ou du moins de la solidité de cette volonté d’être : un artiste. Ça y est, j’étais validé par des vidéos. Je suis sûr que quelque chose a changé depuis ce jour-là, que j’existe davantage comme possible, comme preuve d’une réalité dans son possible à elle, malgré mon impossible à moi. 

[Et voilà, là, ça revient à zéro – je veux dire encore plus qu’avant – car je suis rentré « chez moi » (en fait, ce n’est pas vraiment « chez moi », je n’ai plus connu de « chez-moi » depuis que tu m’as dit, comme on dit, que tu ne voulais plus que je sois « avec toi »). Est-ce que c’est possible de revenir avant même le zéro, en-dessous du zéro ? De toutes façons je viens de me dire que dans tous les cas je pleurerais. Si je revenais dans la réalité possible parce que tu me dirais « allez, on est re-ensemble », ce serait la résolution de tout ce qu’il y a dans mon esprit, j’en suis persuadé, mais alors je m’écroulerais de pleurs, tellement j’aurai amassé un nombre de coups dans le ventre émotionnel, à se croire sans cesse année après année toujours plus bas que la seconde précédente (ou « seconde après seconde toujours plus bas que l’année précédente »). Ce serait un soulagement écroulatoire, comme le sont souvent les soulagements. Ça mettrait direct du drame dans le sauvetage inespéré, si ça se trouve ça durerait même plus de cinq ans et demi de pleurs, je veux dire autant (en temps) que depuis que tu m’as quitté. Et si jamais je restais à tout jamais dans l’impossible, en refusant toute autre vie réelle parce que tu resterais non-présente (l’impossible étant déjà une réalité suffisamment lourde à porter lorsqu’on se charge d’en assumer les conséquences jusqu’au bout), je fondrais bien entendu en larmes tous les jours, pour toujours, à tout jamais, comme en ce moment, comme chaque jour depuis que c’est impossible.] 


(Depuis, l'auteur s'est relevé. Une nouvelle fois. Il n'usera plus du « tu », promis. Ta nouvelle vie te regarde et c'est mieux comme ça. L'essentiel est de te savoir bien, de te savoir mieux, de te savoir bien mieux. Juste le savoir, c'est déjà du possible. Savoir que tu existes encore, c'est encore plus précieux que de savoir que tu as existé. Les deux forment du possible. Je souhaite me dire que tu souriras toujours – oups, dernier « tu ».)

 

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Commentaires
D
Ce texte est une belle et déchirante déclaration d'amour impossible.<br /> <br /> Mais à l'impossible, nul n'est tenu : j'espère que tu pourras cheminer, petit à petit, vers un ressenti de possibilité de vivre ce qui sera alors devenu une ex-impossibilité.<br /> <br /> Et quand je te lis j'ai peur, très peur d'affronter l'impossible, un jour à mon tour moi aussi.
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