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26 janvier 2022

Les autres sens Étonnant de n'avoir défini comme

Les autres sens 

Étonnant de n'avoir défini comme "sens" que les "sensations" nommées "vue", "ouïe", "odorat", "toucher" et "goût" qui, énumérées comme telles, ne couvrent qu'une infime partie de notre rapport physique au monde. Avant même "les cinq sens", viennent les sens irréductibles à un quelconque "sens" (à un quelconque organe) : les autres sens.

Le sens du fond de l'air : Notre première façon de prendre contact avec une nouvelle région, un nouvel environnement extérieur (là où circule de l'air au sens sensitif et pas seulement chimique), c'est de humer cet air et/ou de ressentir la spécifique sensation de cet air sur soi et en soi. Il n'est pas question ici d'odeur à proprement parler, ça ne sent souvent rien de spécial (en tout cas d'après nos moyens limités en la matière, il ne nous viendrait pas à l'idée de la qualifier en tant qu'odeur, que fumet) ; il serait également ironique de faire accroire que l'on puisse "toucher" l'air, juste parce qu'il semble frotter notre peau et que celle-ci réagit à son niveau de température. Non, pas d'odeur, pas de contact, l'air est nulle part et partout. Il est tout ce qui nous entoure, tout ce qui entoure cette nouvelle aire. Ça fait piquant ou ça fait frais, ça fait pesant ou bien humide, c'est immédiatement qu'on le ressent, c'est même sans doute le premier sens, littéralement. Le sens du fond de l'air.

Le sens de la faim : Bien qu'animaux en de telles circonstances, c'est toujours en tant qu'humains que nous le vivons. Il se pourrait même bien que ce soit encore plus en tant qu'humains, toujours à cause de cet odorat qui n'est pas suffisamment à la hauteur pour être utilement enrôlé. En tant qu'hypoglycémique, je me suis surpris une fois, devant faire face à un obstacle humanoïde parlant, bloquant ma route vers la sustentation, à penser (exactement) "ta gueule, t'es pas d'la bouffe !". Il faut avoir vécu ça une fois, il faut avoir pensé ça très fort et en toutes lettres pour saisir ce qu'est le sens de la faim. Lorsqu'il est là, pleinement là, il colore tous les autres. Notre relation au monde n'est plus que faim, entièrement faim. Notre prochain ? De la non-faim ! Sa présence ? Non pas une concurrence (ce qui serait tellement plus simple), mais la négation de notre sens le plus prégnant en cet instant, la négation de notre faim. Je ne suis plus rien d'autre, alors arrête. Arrête d'être quelqu'un, j'ai juste faim.

Le sens de la honte : Bien sûr, il se manifeste en nous, sur nous, mais lorsqu'on en est vraiment affecté, le plus notable est surtout qu'il est convocable sur la longueur, surgit à chaque fois que c'est son tour. Pour cela qu'il nous semble correspondre à la définition d'un sens. Quand j'écoute ce disque, je me rappelle de la fois où en l'écoutant, j'ai eu honte d'être moi, de faire ceci, d'être cela ; je le ressens tout autant qu'avant et c'est là, indépendamment de ce que mes oreilles entendent (ce n'était peut-être pas exactement pendant ce refrain et c'était peut-être même une fois la mélodie finie, voire le disque rangé dans son étui) ; c'est un sens de ma honte, une intuition persistante de sa pertinence flagrante, indépendamment des regards sur moi ou de mon interprétation à leur propos. C'est juste l'occasion qui a fait le larron, qui a redéclenché le sens, qui a remis en branle ses connexions ; c'est tout de suite, instantanément incarné, instantanément corporel. Je le ressens comme tel.

Le sens de la douleur : C'est où ? Plutôt ici ? Plutôt là ? Le plus souvent difficile à dire, très difficile. Il y a bien une zone mais vague, incirconscrivable. Ce qui n'empêche pas que c'est vivant, que c'est nous, presque tout entier quand ça nous prend. C'est si évident. Ça n'a peut-être pas "de sens" ou "de cause", comme on dit, et pourtant c'est sans conteste LE sens ; bien plus que premier en tout, bien plus que derrière tout (lorsqu'il se niche en nous), bien plus que colorant tout nous (lorsqu'il nous rend tout nu) : LE. THE. THE sens. Inexplicable. Indescriptible. Intraduisible. Les autres, à côté, c'est de la prose administrative. Prenez par exemple un proche, ou quelqu'un de rusé, ou bien un proche rusé. Essayez de lui faire saisir un amour, un concept ardu, un récit compliqué : ça passe. Parlez-lui de votre douleur en tant que sens, en tant qu'elle est un sens, qu'elle existe ainsi en vous, de telle façon et pas de telle autre, décrivez-lui son évidence, son style de présence. Là, quoi qu'il vous réponde ou vous recommande : à côté de la plaque, toujours. Face à la compréhension perceptive de votre douleur, tout autre, quel qu'il soit, cet être cher que vous aviez devant vous, cet être si fin, si subtil, devient une sorte de débile. Et malheureusement rien à faire pour rattraper le niveau. C'est sans espoir. Espoir n'est pas de ce sens. Si ce texte se termine ici, c'est aussi à cause de lui (car trop d'ordi m'éblouit).

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