Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Définitivement
Publicité
Définitivement
Archives
25 novembre 2021

Il est clair que les autres n'existent pas.Preuve

Il est clair que les autres n'existent pas.
Preuve irréfutable : c'est quand ils nous manquent le plus qu'ils existent le plus.
Ils semblent nous dire, de loin, "hé ben fallait tout faire pour que j'existe aussi quand je ne te manquais pas, quand j'étais là !", sauf qu'alors on était pris par autre chose, par ce qu'on appelle le temps (ou ce qu'il faut faire durant celui-ci).
Quand il n'y a plus que l'autre et son manque, on est hors du temps, on regrette le temps où sa présence était effective, cette présence dont on aurait dû préserver pour toujours l'effectivité, sauf que c'est justement quand la présence est effective qu'on a autre chose à faire, que l'on n'ose penser à quand elle ne le sera plus. On est dans le guidon, alors que toutes les données du futur, les données du futur du manque, de la présence-existence plus forte que tout mais non effective, sont en train d'être construites à notre insu. Le temps travaille toujours contre nous, même lorsqu'il a le goût de l'action, de l'accomplissement.

Je ne suis jamais arrivé à comprendre comment je devais engendrer mon temps, comment le répartir entre les différentes émotions. Je veux bien que les autres n'aient souvent pas le temps, mais s'ils n'ont actuellement pas de temps (pour moi), ça veut bien dire qu'il a fallu qu'ils offrent de leur temps plus que de raison un jour à quelqu'un d'autre. Or, instantanément, lorsque l'autre mérite notre temps, que le temps que l'on pourra lui allouer se justifie, c'est comme s'il perdait alors son statut d'autre : c'est alors l'un de nous, celui pour lequel on ne comptera quasiment plus notre temps tellement l'on compte pour lui et qu'il compte pour nous. Laissant alors derrière nous, de façon plus ou moins insouciante ou négligente, tous les autres qui restent des autres (qui nous apparaissent parfois ainsi sans que l'on ait eu l'impression de le choisir : ça aurait pu, peut-être, être autre chose... mais non, maintenant c'est un autre et alors il ne se situe plus dans notre temps, il est littéralement d'un autre temps, sans que l'on puisse souvent déterminer à partir de quel moment la transition s'est faite).

Bon, si tout cela était pleinement revendiqué, "vous savez, en réalité, personne n'existe, alors ne t'en fais pas !", on pourrait accepter ça, on pourrait continuer comme ça. Sauf que l'on a l'air de penser qu'il y a vraiment des autres, que l'on nie dans le même temps en les extériorisant, les expulsant de notre temps (ou en les y faisant entrer mais toujours comme "dans notre temps", donc d'emblée en les séparant de notre réalité, dans laquelle ils ne peuvent que s'insérer à défaut d'en faire pleinement partie – ce qui nécessiterait de sortir de la vision géométrale de type temps-espace qui n'est que le regard d'un dieu hautain et calculateur sur sa vie). 
On pense encore qu'il y a des autres, on se fait croire ça et on leur accorde encore (c'est si charitable !) du temps. Concession que l'on fait le plus souvent en serrant les dents, car vite hâte de rentrer chez soi, avec nous. Que ce "nous" comprenne une, deux ou davantage de ce que l'on nomme inadéquatement "personnes" n'a que peu d'importance : l'essentiel, c'est d'être loin des autres. Que ça ressemble le plus possible à leur non-existence. C'est cela, le plus grand travail du temps, ce qui prend le plus de temps : le temps que l'on prend à s'en éloigner, à tout faire pour que l'on se retrouve le moins possible à être avec eux. Tout ce qui pourra rappeler le guidon, tout ce qui pourra rappeler le "nous-cocon", tout ce qui pourra rappeler le néant, la non-existence des autres (et par conséquent la non-existence de soi, je veux dire si on a une idée d'un soi un peu plus élevée que celle d'une pierre roulant dans un fossé, d'un mécanisme d'automate ou d'une larve aveugle et sourde) est recherché sans que l'on y compte notre temps. Et ainsi, magiquement, nous pourrons répondre qu'on ne l'a plus, le temps. Qu'il a filé. Que les autres auraient pu nous manquer, oui, mais qu'on a oublié jusqu'à l'esquisse de cette possibilité, bien trop occupés à se concentrer sur l'effectivité de leur non-effectivité. C'était si rassurant de savoir qu'ils n'existent pas.

Problème : ils renaissent toujours. Ceux que l'on n'aurait pas pensé voir devenir autres se réveillent un jour ou l'autre (ou plutôt, nous réveillent) en l'étant. En l'étant bel et bien. 
Et là, ah c'est con, mais on découvrira qu'il (par exemple lui) nous manque. Car c'est le principe d'être d'un autre, quoi que l'on ait pu se faire croire, se masquer pour le nier : de nous manquer. 
Et alors c'est lui qui n'aura plus de temps, qui se situera dans un temps alors qu'il n'était avant dans aucun de spécial. C'est lui qui ira faire son temps dans son temps, avec les autres autres. 
Il nous manque alors de plus en plus, et c'est sans doute bien fait pour notre gueule. Fallait pas se mettre à croire qu'il existait trop.
C'est un autre désormais, et peut-être bien que ça l'a toujours été.
Il n'existe pas, voilà tout.
Les autres n'existent pas, on se l'était pourtant déjà assez répétés entre nous. Entre soi. Entre soi seul.
Soi tout seul.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
La métaphysique, un des domaines où je trouve que Lucas Taïeb excelle :).
Répondre
Publicité