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5 mai 2020

La phrase que je n'ai jamais écrite “La preuve,

La phrase que je n'ai jamais écrite

 

“La preuve, un vigile est encore plus con qu'un flic !”. J'ai décidé de ne jamais écrire cette phrase et c'est ce jour, le jour de cette décision, que ma vie a basculé. 

Avant même cela, avant même d'avoir l'idée d'écrire cette phrase, elle (pas la phrase mais une humaine avec qui je vivais) m'avait foutu le doute : “mais es-tu bien sûr de connaître les tenants et les aboutissants du problème dont tu discutes ?”. Car comme toujours, le débat en ligne provoquait chez moi tension et angoisse. Impossible de savoir si l'autre n'allait pas, d'une minute à l'autre, ruiner définitivement notre estime de soi. Contrairement aux regards et mimiques perçus de vive chair, les mots surgissent toujours lorsqu'on s'y attend le moins.

(Cela m'était arrivé quelques années plus tôt et j'en porte encore aujourd'hui les séquelles. La majeure partie de mes malaises avec mon moi comme avec les autres trouve son origine dans l'ambiance de ce forum où c'était devenu une habitude de me traiter de "con". Je ne sais plus vraiment qui je suis depuis ce jour, je ne vis qu'à côté de ma personne. Réside sans cesse la possibilité – effrayante car sans possibilité d'anticipation – d'être un "con".)

J'étais tombé sur l'un des rares défenseurs contemporains du libéralisme. Sa pensée symétrique répondait à la mienne : la preuve que le marché était pire que l'État (qui n'était déjà pas la panacée), c'était qu'un vigile était encore plus con qu'un flic. Cette phrase, je ne l'ai jamais écrite. Elle avait pourtant un certain sens, mais tellement qu'elle n'en avait aucun, car tout son sens bouchait tout le reste du sens qu'il y a dans le monde réel. J'avais compris de quoi relevait ma déconnexion.

(J'avais écrit le brouillon manuscrit de mon texte dans un carnet de dessins. L'année dernière, alors que je devais montrer ce carnet à un artiste dans un but qui l'était aussi – artistique –, je choisis de détacher ces pages. Car au final je ne les ai jamais écrites.)

J'avais écrit le brouillon, je m'apprêtais à répondre, devais-je répondre, devais-je dire, devais-je écrire ? (C'est à cela que s'est résumé la majeure partie de mon existence jusqu'à présent : dois-je écrire ? Tout ce que vous lisez ici est le résultat d'un certain nombre de réponses à cette question, sans que vous ne sachiez jamais – vous ne saurez jamais – lesquelles – lesquelles de choses – j'ai finalement choisi de ne jamais écrire. Par exemple, il a bien failli y avoir un tout autre texte que celui-ci, texte qui existera peut-être un jour, peut-être jamais. C'est le principe.)

Avant de me décider, j'ai fait venir l'assemblée habituelle (mon éternel procès, parfois adjuvant, parfois enfonçant). Les remarques dont je me souviens : 

“Quand te rendras-tu compte que le monde ce n'est pas cela, ce n'est pas “un vigile” qui serait plus ou moins “con” que, c'est sa vie, ses conditions de vigile à déceler, déployer, explorer, rapporter, et qui montreront de quoi serait faite ou non sa présumée ou pas “connerie” qui soi-disant le définit ou le constitue présentement dans l'état actuel de l'histoire. Tu n'auras jamais accès à son moi, ne l'hypostasie donc pas ! Que tu le trouves haïssable, c'est une chose. C'en est une autre de refuser d'objectiver cette considération en toi, car toi aussi a une histoire. Toi aussi vit ici et là la “connerie” présumée, ressentie, imputée. Tu l'as dit. Disserter sur le monde social n'est pas un jeu. Et même quand ça l'est, ça ne l'est pas car alors on le poursuit en étant immergé dans un bain adulte d'illusion qui constitue ce jeu comme règle à poursuivre, à continuellement investir : le Professeur Choron aurait pu écrire cette phrase, mais c'était le Professeur Choron. Il poursuivait la vie du Professeur Choron, il existait comme Professeur Choron. Il avait choisi d'apparaître ainsi objectivement. De ton côté, tu n'es qu'un individu pratiquant le débat en ligne. Rien de plus. Et à partir de  là, tu seras ce que ton choix d'être t'aura déterminé à être, et non pas ce qu'une phrase plus ou moins bien tournée aura choisi pour toi. Es-tu cette phrase ?”

Je ne l'étais pas, donc je ne l'ai pas écrite. Je n'ai jamais écrit cette phrase. Et maintenant je comprends mieux pourquoi, car depuis j'ai appris tout le reste de ce que cette phrase ne contenait pas, ou en tout cas pas mal de choses.

 

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