Une douleur, ou plutôt une sensation, une perception désagréable, mais bref une douleur, fait partie de mon quotidien métabolique depuis plusieurs mois. "Vivre avec" me semble consister en ceci : pendant que je la ressens, donc que je la vis, essayer simultanément de m'imaginer comment ça aurait été de vivre ce moment sans. Ainsi, possibilité que cet autre présent possible fasse surimpression.
C'est assez simple avec la musique : quand je sens que la douleur vient trop s'appuyer sur elle, je cherche à trouver la sensation que m'aurait fait ce disque si je l'avais écouté sans la douleur. Finalement, ce n'est pas très différent de quand on apprécie une oeuvre parce qu'on l'aurait appréciée étant plus jeune, syndrôme courant de la jeunesse postmoderne attardée : on n'est pas non plus complètement dans le présent réel, on mythifie tout autant le passé (normalement perdu à jamais) que le présent (normalement différent du passé). Au moins, quand il s'agit de s'émanciper d'une douleur, c'est pour une bonne cause.
Et puis, je peux toujours chanter dans ma tête, ça ce n'est jamais gâché. De la même manière que l'on passe davantage de temps à penser certaines idées qu'à les lire ou les écrire, c'est aussi dans notre tête que nous sommes le chanteur éternel. Peut-être qu'après tout cela peut suffire.
Si je parle de ça, c'est que ce n'est que ma vie. Depuis le début ou à peu près, la mort est présente comme un horizon prématuré, la mort ou sa précurseuse la déchéance. Ce n'est pas tant un sentiment dépressif qu'une préparation flegmatique à ce qui ne peut qu'arriver tôt, pas forcément une attente, ce serait dire que le pied se fait ferme, mais la certitude désabusée de la petitesse du temps qu'il me reste. (Si cela semble lyrique, je ne peux qu'en rire encore plus car ça ne peut pas en être plus loin.)
Quand la douleur arrive je peux donc dire que je m'y attendais, et la plupart du temps c'est tout à fait vrai, même si l'on ne peut jamais prévoir toutes ses nuances. Je me suis déjà tellement joué ce moment dans ma tête, ce moment de la douleur définitive, irrattrapable, que je suis à peine sous le choc. Je pleure une bonne fois pour toutes, je regrette ceci ou cela pendant quelques temps, puis je vois vite qu'il n'y a rien à regretter puisqu'ayant mené tous ces moments passés en pleine connaissance de cause, en pleine préparation de la douleur à venir, elle ne pouvait que s'amener. C'est mégalogique, comme dirait l'autre.