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Définitivement

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Définitivement
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24 mai 2022

Il y a depuis le début quelque chose

Il y a depuis le début quelque chose d'intrinsèquement violent dans la confrontation à l'art, sorte de défi permanent à la non-nullité. "Regarde, je sais dire des choses et pas toi !", oui car perpétuellement une invitation à en être alors qu'on n'en est pas, sans doute le fardeau du prolo lettré. Le prolo admirera dans le silence, "waouh", ça rend coi. Le lettré tout de suite dialoguera, "OK tu dis ça ? alors bon moi, etc.". Le prolo lettré est sans cesse... oui c'est ça, mis au défi, façon quasi-paranoïde : "ah oui alors carrément, tu sais dire ça, tu sais dire des choses comme ça ?! tu... tu me provoques, hein ? tu testes ma capacité à savoir quoi en faire dans ma tête, hein ? tu m'invites à développer ma propre réponse, hein, nécessairement ? Ben oui, nécessairement, car tu n'existes que pour j'existe, pardi, tu me titilles par ton intelligence, tout ça parce que tu es imprimé ! Certes j'ai pas toutes les clés pour direct faire que ma salive prenne la teinte de l'encre, mais ne perds rien pour attendre, tiens-toi prêt, Ego arrive dans la société pour dire qu'il pense des choses aussi !".

Violent, fatigant, cette confrontation, cette provocation, cette intimation-intimidation. Toujours cette façon qu'a l'art d'en imposer pour absolument déclencher une prétention à y inclure à notre tour notre fameux "grain", d'un pénible...

Il faudrait pouvoir choisir soit de se taire à jamais soit de ne faire que répondre en ignorant à jamais le stimulus-demande  qui n'existe que parce qu'on lui prête encore assez d'attention pour croire qu'il passe son temps à vouloir nous impressionner.

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25 avril 2022

On ne sait jamais si c'est un surmoi ou une

On ne sait jamais si c'est un surmoi ou une libération (étant donné qu'on a du mal à penser les deux en même temps).
Lorsque la douleur m'a assailli jusqu'à ne voir plus clair en rien du tout, ce sont les choses de l'intellect qui m'ont sauvé. Parce qu'elles m'obligent ("cela m'oblige"). Je me devais de comprendre le monde autour (autour de ma douleur) à défaut de comprendre ce qui m'arrivait (ma douleur). 
D'ailleurs, intrinsèquement, dans le même temps, quelque chose comme la sociologie de Pierre Bourdieu m'a convaincu justement parce que je m'en sentais détaché. Dans le même temps (surmoi ou libération ?). Obligation de construire un tableau de la place allouée à chacun, de sa ou ses "dispositions", en reconnaissant la pertinence même (je dis bien "la pertinence même", tout attaché) dans le fait de ne pas s'y reconnaître en tant que prolo lettré.
Il y a des systèmes intellectuels que l'on aime justement parce qu'on peut les considérer en s'en détachant et parce qu'alors ils nous obligent. Ils nous obligent à les considérer, à les faire nôtre, tout en continuant à les aimer par ce détachement même (je dis bien "par ce détachement même", tout attaché). L'antiracisme critique, par exemple, aussi. Dans le même temps, je ne suis pas Blanc et donc je suis Blanc, je suis Blanc et donc je ne suis pas Blanc. Car pour pouvoir dire l'un, considérer, intégrer la chose à sa juste valeur, il faut pouvoir dire l'autre en même temps, pour sauver sa libération. Sa libération qui nous oblige. Qui nous oblige à la considérer et ainsi à s'en libérer. Ce qui peut être lourd à porter (car finalement, on ne sait jamais).

23 avril 2022

C'est comme si dès le début, tout avait été, dans

C'est comme si dès le début, tout avait été, dans ce quartier, marqué du sceau de l'irréel.
J'y suis né, paraît-il. Premier tout petit appartement de mes "parents" – c'est cela le mot générique utilisé, pouvant prendre parfois un sens bien plus large – dans ce quartier de guingois, tout en pentes, dans une rue d'où l'on accède nécessairement de façon tordue même lorsqu'on souhaite marcher droit. Resté très peu de temps, pour aller ensuite dans un autre quartier tordu à sa manière bien qu'au destin à tout jamais plus chic, ainsi que, pour ma part, tragique. Donc beaucoup moins d'irréel là-bas ; un côté théâtral, bien entendu, un peu grotesque et comme "posé là", bien que ne manquant ni de charmes ni de cauchemars, mais en tout cas sans cette atmosphère d'inouï, d'au-delà de toute possibilité ; quelque chose de bien trop réel-cruel, justement.
Tandis que dans ce quartier de pentes, depuis toujours, à chaque fois que j'y retourne, avant, pendant et après ma vie (ma vraie vie, celle qui suivait le train qu'elle devait suivre avant d'être déviée dans un monde parallèle), à chaque fois l'irréel transparaissait avec évidence. Ça annonçait toujours déjà une autre époque que la sienne, ce quartier étant toujours à la fois plus vieux que lui-même et comme gros de promesses inespérées, proprement incroyables car beaucoup trop fortes pour moi, pour ce que j'étais à tout moment et à tout jamais.
Je peux dire que dès le départ, du moins dès que j'ai pu le percevoir en tant que "quartier" proprement dit, il montrait l'irréalité, l'improbabilité d'une vie de sentiments réciproques en son sein. Il métaphorisait ou métonymisait, par ses courbes impensables dans notre présent, l'impossibilité de l'amour qui ne pouvait qu'y avoir lieu comme en rêve, d'une façon tellement intense qu'il ne pouvait qu'être débordé par l'irréel (et alors par la déviation dans le monde parallèle de sa coupure brutale, tout aussi improbable).
Je marche à côté de moi depuis plus de quatre ans, et peut-être un peu plus que ça. Mais c'est comme si les formes de ce quartier me l'avaient annoncé : elles sont trop belles, trop irréelles, ne peuvent que faire déraper. Elles portent en leur sein, depuis le début, surtout depuis que j'y ai élu ma vie (ma vraie vie), l'inouï, l'incroyable de l'amour, dont on dirait que c'est le niveau d'existence si fort qui l'a nécessairement fait sortir du mode d'existence de la vie pour lui faire céder la place à un monde parallèle dans lequel il ne peut avoir lieu que négativement (par son inactualisation absurde, par sa limitation à un état d'attente éternelle, de parenthèse vide, inacceptable, une sorte de "transitoire définitif" monstrueux, à tout jamais déviant, dévié de tout réel digne de ce nom).
Ce quartier était d'emblée si beau que tout allait être bien trop beau pour que le monde de la vie puisse le supporter. Car la vie ne veut parfois pas de la vraie vie, du monde vrai.

4 février 2022

Le prolo lettré, variations[vient après la

Le prolo lettré, variations

[vient après la "Phénoménologie du prolo lettré", sept. 2018]


Le prolo lettré, c'est pas qu'il est clivé en deux, c'est qu'il est clivé en son sein dès le départ en lui-même. Synchroniquement et pas diachroniquement. C'est pas ce qu'il est devenu qui le met mal à l'aise (contrairement au prolo devenu lettré), c'est la contradiction qu'il était de base.

La distance sociale à parcourir, l'ascension à mener, elle est entre lui-même et lui-même, entre ses différentes données immédiates, originelles. Le lettré en lui est aussi éloigné que ne l'est le prolo en lui du point de vue du lettré (et vice-versa). Les belles choses de la culture, elles sont pas lointainement hautes, elles sont lointainement en haut de son cœur à lui, son cœur et ses belles exigences qui le rendent tout rabougri lorsqu'il ne s'en sent pas à la hauteur, pas à la hauteur de lui-même, de la belle hauteur qui est en lui, comme toujours aux aguets derrière son dos, imprimée derrière chaque chose sans qu'elle soit objectivée dans un quelconque statut (ce qui le rendrait alors lettré non prolo).

L'étrange et belle hauteur de la culture est ainsi encore plus longue à atteindre puisqu'elle n'est nulle part ailleurs qu'en soi, et pour cela sans doute irrémédiablement étrangère (tandis qu'un prolo non-lettré pourra se faire lettré). 

Dès le départ on l'a eu, mais dès le départ sans les clés, donc à tout jamais sans les clés, car dès le départ on l'a eu sans les clés pour l'avoir.

Le prolo lettré et la gentrification : dans les quartiers bobos-prolos, s'il s'y sent bien c'est parce qu'il peut se diviser dans les autres au lieu d'être divisé en lui-même (c'est plus reposant) ; il tiendra à ce qu'il y ait toujours des prolos comme lui, on peut leur parler sans façon, mais il ne râlera pas contre l'arrivée des intellos bohème qui sont aussi lui-même et sa belle hauteur insouciante qu'il chérit.
Ce qui peut finir par irriter, c'est néanmoins... faut l'avouer... ne pas pouvoir les emboîter : il doit prendre des partis, tantôt celui des uns, tantôt celui des autres, tout le touche, tout est trop pour lui, l'inestimable nécessité de cette épicerie qu'il regrettera toute sa vie (car quelle idée d'aller danser au rez-de-chaussée ?), les habits, les styles de vie, les messages sur les murs qui disent avant tous les autres ce qu'il y a à dire sur le monde, qui prennent leur voix, leur voix à prendre, à dire avec des signes de lettrés. Mais sans croire qu'on a forcément raison, non ? Du moins, toi, tu crois que tu n'en es jamais sûr. Car la contradiction, c'est en toi qu'elle se fait jour. Prolo lettré pour toujours.

31 janvier 2022

Dit autrement : devant ma confrontation

Dit autrement : devant ma confrontation quotidienne à une telle irrégularité régulière, à une hétéronomie à la fois physique et mentale, à une tendance à conséquemment suivre ces virages dans le rythme de mes mots et de mes traits même lorsqu'ils sont brusques et peu transmissibles, il faut soutenir l'édifice par l'établissement de la vérité dans les choses, question exigeante qui nous fera apparaître la part de folie originelle qu'il y a dans la tentative de mise en ordre, mais aussi la part de pragmatisme spirituel qu'il y a dans l'acceptation (car il ne sert plus à rien de s'agiter) de la perte de toute maîtrise.

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30 janvier 2022

"...les moments où je dois faire mon artiste,

"...les moments où je dois faire mon artiste, est-ce ceux où je dispose de toutes mes capacités ? ...ou au contraire ceux où je peux me laisser porter par le malaise ? ...les moments où je dois faire mon intello, est-ce ceux où mon cerveau peut doucement carburer en visant précisément ce qu'il a à dire sans trop tergiverser (moments de désinhibition très économiques qui peuvent être ceux des malaises) ? ...ou ceux où il va chercher midi à quatorze heures et a peur de ce qu'il peut découvrir de trop encombrant, peur à cause du temps limité qui lui reste (moments de relative forme-tension)... ?"

(extrait du journal intime dessiné "Diminué et Passionné" tome 6, vers la fin 2020)

 

Vous voyez bien que depuis que j'ai repris ces affaires d'art, de traits, de mots, ma tendance à la mise en abyme s'en est trouvée renforcée, pour ne pas dire aggravée. La raison en est simple : l'art, les traits, les mots (pris en eux-mêmes), alors que j'avais cru m'en détacher, m'ont littéralement rattrapé. Je n'emphatise pas, c'est comme ça que j'ai ressenti le phénomène, c'est comme ça que cela s'est produit en toute rigueur : ça m'a rattrapé. J'avais pu croire que mon lien envers eux était lâche voire détaché, dédramatisé ("je vous dis au revoir, chers amis, avec grand plaisir", avec un ton certes ému mais des lèvres en forme de petit sourire soulagé), or tout ce que j'avais inscrit précédemment sur des pages, même sans être publié, s'était bel et bien imprimé sur ma vie. À partir de là, à chaque instant de la reprise, à chaque nouvelle tentative d'entrevoir ce que ça dit de mes possibilités, je me sens obligé de me pencher sur les raisons mêmes qui me font être là et encore là, à présent.

Le constat est le suivant : lorsque j'ai compris (aussi bien par l'état actuel de la science que par une sensation difficilement descriptible d'ordre corporel) qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible quant à mes douleurs et malaises, j'ai pris sans m'en rendre compte une double décision (inconsciente bien que ferme), celle-ci expliquant sans doute après coup (je m'en rends compte maintenant) ma tendance inhérente au "tout ou rien" joyeux, œcuménique, dualiste-mystique : je me devais, en m'éloignant de l'art, de me concentrer sur les vérités froides, objectives, considérées dans une sorte de distance sans distance – à savoir en plein dans la ferme croyance en la distance, non feinte, position équilibrée d'équilibriste qui a pu me faire croire en un "détachement" – , tout comme je me devais, dans les moments où l'art me rattrapait, de suivre jusqu'au bout ce que me permettaient mes malaises et autres états non-clairs, aller jusqu'au bord de la folie dans ma manière de suivre les élans saccadés, contrariés de mon cerveau. Ce double mouvement m'apparaît, maintenant plus que jamais, comme le contraire de toute contradiction : l'exigence de mon état, de tout état second (comme on dit) vécu dans la continuité, dans la régularité, c'est l'exigence de la vérité aussi bien que l'exigence du départ vers autre chose que la simple rationalité. Ce sont les deux faces de l'acceptation : puisqu'il faut quasiment à chaque seconde se suivre (ou "être suivi" : "vous êtes suivi ?"), s'écouter, se surveiller, il s'agira à la fois de tenir plus que tout à ce qui relève de la solidité du réel et de savoir se laisser porter par des élans du cœur inédits (en profiter pour son art, mais aussi pour sa connaissance).

Ainsi, parallèlement ou plutôt dans un même mouvement que le discours est obligé de faire apparaître double dans le cadre d'une communication à autrui, je poursuis l'élucidation du monde et celle de ma déprise, toujours ouvert à... et toujours sans concessions envers... (mon attention, mes mouvements, mes élans). C'est en dernière analyse cette nécessité qui m'aura fait conclure à l'évidence des traits-mots (mêlés-manuscrits, dans le cadre de ce qu'on appelle parfois "la bande dessinée") comme "moyen d'expression privilégié", alors que j'avais longtemps eu du mal à justifier ce choix, aussi bien auprès de moi-même que de mon entourage : les mots qui sont des traits, qui cheminent séquencés, ça montre direct la cassure. Ça fait tout le temps suivre son propre rythme (on a bien dit qu'il fallait se suivre et qu'on était suivi), ça permet des choses comme : trembler, prendre la tangente, le contre-pied humoral vibratile, ne plus avoir les mots (comme présentement, étant durant ce paragraphe en plein début de malaise)... Le dessin comme monstration pleine et sans fard de soi, je ne l'ai pas inventé, ça s'est déjà dit, je l'ai lu ; mais ce que j'ai peut-être inventé (pour mon propre compte, après ça regarde qui veut), c'est cette monstration comme principe de raison suffisante, finalité même, unique, sans autre dose d'évidence : je n'aurai sans doute jamais rien tracé, ou du moins jamais rien persisté à tracer, si je ne traçais pas aussi mal, si je n'étais pas si continuellement mal, car il n'y a que par cette pratique que je peux faire quelque chose de ce mal, avec ce mal, que celui-ci peut être vécu, éclairci, accepté. En étant attentif à ce que je ne sais pas faire, au final, je fais bel et bien. Je n'aurai même jamais autant fait ; je n'aurais sûrement jamais fait autant si je savais le faire. C'est cela qui m'a rattrapé (en plus de la vérité).

26 janvier 2022

Les autres sens Étonnant de n'avoir défini comme

Les autres sens 

Étonnant de n'avoir défini comme "sens" que les "sensations" nommées "vue", "ouïe", "odorat", "toucher" et "goût" qui, énumérées comme telles, ne couvrent qu'une infime partie de notre rapport physique au monde. Avant même "les cinq sens", viennent les sens irréductibles à un quelconque "sens" (à un quelconque organe) : les autres sens.

Le sens du fond de l'air : Notre première façon de prendre contact avec une nouvelle région, un nouvel environnement extérieur (là où circule de l'air au sens sensitif et pas seulement chimique), c'est de humer cet air et/ou de ressentir la spécifique sensation de cet air sur soi et en soi. Il n'est pas question ici d'odeur à proprement parler, ça ne sent souvent rien de spécial (en tout cas d'après nos moyens limités en la matière, il ne nous viendrait pas à l'idée de la qualifier en tant qu'odeur, que fumet) ; il serait également ironique de faire accroire que l'on puisse "toucher" l'air, juste parce qu'il semble frotter notre peau et que celle-ci réagit à son niveau de température. Non, pas d'odeur, pas de contact, l'air est nulle part et partout. Il est tout ce qui nous entoure, tout ce qui entoure cette nouvelle aire. Ça fait piquant ou ça fait frais, ça fait pesant ou bien humide, c'est immédiatement qu'on le ressent, c'est même sans doute le premier sens, littéralement. Le sens du fond de l'air.

Le sens de la faim : Bien qu'animaux en de telles circonstances, c'est toujours en tant qu'humains que nous le vivons. Il se pourrait même bien que ce soit encore plus en tant qu'humains, toujours à cause de cet odorat qui n'est pas suffisamment à la hauteur pour être utilement enrôlé. En tant qu'hypoglycémique, je me suis surpris une fois, devant faire face à un obstacle humanoïde parlant, bloquant ma route vers la sustentation, à penser (exactement) "ta gueule, t'es pas d'la bouffe !". Il faut avoir vécu ça une fois, il faut avoir pensé ça très fort et en toutes lettres pour saisir ce qu'est le sens de la faim. Lorsqu'il est là, pleinement là, il colore tous les autres. Notre relation au monde n'est plus que faim, entièrement faim. Notre prochain ? De la non-faim ! Sa présence ? Non pas une concurrence (ce qui serait tellement plus simple), mais la négation de notre sens le plus prégnant en cet instant, la négation de notre faim. Je ne suis plus rien d'autre, alors arrête. Arrête d'être quelqu'un, j'ai juste faim.

Le sens de la honte : Bien sûr, il se manifeste en nous, sur nous, mais lorsqu'on en est vraiment affecté, le plus notable est surtout qu'il est convocable sur la longueur, surgit à chaque fois que c'est son tour. Pour cela qu'il nous semble correspondre à la définition d'un sens. Quand j'écoute ce disque, je me rappelle de la fois où en l'écoutant, j'ai eu honte d'être moi, de faire ceci, d'être cela ; je le ressens tout autant qu'avant et c'est là, indépendamment de ce que mes oreilles entendent (ce n'était peut-être pas exactement pendant ce refrain et c'était peut-être même une fois la mélodie finie, voire le disque rangé dans son étui) ; c'est un sens de ma honte, une intuition persistante de sa pertinence flagrante, indépendamment des regards sur moi ou de mon interprétation à leur propos. C'est juste l'occasion qui a fait le larron, qui a redéclenché le sens, qui a remis en branle ses connexions ; c'est tout de suite, instantanément incarné, instantanément corporel. Je le ressens comme tel.

Le sens de la douleur : C'est où ? Plutôt ici ? Plutôt là ? Le plus souvent difficile à dire, très difficile. Il y a bien une zone mais vague, incirconscrivable. Ce qui n'empêche pas que c'est vivant, que c'est nous, presque tout entier quand ça nous prend. C'est si évident. Ça n'a peut-être pas "de sens" ou "de cause", comme on dit, et pourtant c'est sans conteste LE sens ; bien plus que premier en tout, bien plus que derrière tout (lorsqu'il se niche en nous), bien plus que colorant tout nous (lorsqu'il nous rend tout nu) : LE. THE. THE sens. Inexplicable. Indescriptible. Intraduisible. Les autres, à côté, c'est de la prose administrative. Prenez par exemple un proche, ou quelqu'un de rusé, ou bien un proche rusé. Essayez de lui faire saisir un amour, un concept ardu, un récit compliqué : ça passe. Parlez-lui de votre douleur en tant que sens, en tant qu'elle est un sens, qu'elle existe ainsi en vous, de telle façon et pas de telle autre, décrivez-lui son évidence, son style de présence. Là, quoi qu'il vous réponde ou vous recommande : à côté de la plaque, toujours. Face à la compréhension perceptive de votre douleur, tout autre, quel qu'il soit, cet être cher que vous aviez devant vous, cet être si fin, si subtil, devient une sorte de débile. Et malheureusement rien à faire pour rattraper le niveau. C'est sans espoir. Espoir n'est pas de ce sens. Si ce texte se termine ici, c'est aussi à cause de lui (car trop d'ordi m'éblouit).

6 décembre 2021

À quoi ça les avance ?Au bout du compte, je crois

À quoi ça les avance ?
Au bout du compte, je crois n'avoir jamais compris pourquoi les artistes font ce qu'ils font – ce qui leur plaît tant à vouloir circonscrire leurs obsessions dans telle ou telle forme.
Bien sûr, je serais tout autant mal à l'aise à vouloir tenter de me projeter dans la volonté d'un "écrivain", d'un "penseur" ou d'un "chercheur", pour la même raison qui me fait fuir – il me semble avec raison – tout attachement obsessionnel envers un "projet", "domaine" ou "but" de papier. Sauf que ceux-là cultivent finalement (réellement) des fins qui les dépassent, qui les honorent. On comprend pourquoi. 
Les artistes, on comprend pas pourquoi. On a l'impression qu'il n'y a qu'eux au milieu, que la complaisance (toujours un peu dégueulasse) dans leur matière. 
Et encore, si ce n'était que ça... après tout... nous aussi, les faux artistes, on a notre attention fixée sur nous, à peu près sans cesse. Sauf qu'on ne fait pas mine de la "sublimer" : on ne tient pas à entrer dans quelque dynamique sociale que ce soit, l'art n'étant pas pour nous une façon d'officialiser, de fixer notre monstration (la fameuse "œuvre", beurk). On suit ce qu'on (ce que "je" ou ce que "ça") nous dicte, un point c'est tout ; des fois on passe par ici, des fois on passe par là, des fois on passe par nulle part, mais en tout cas c'est toujours nous. C'est pas notre "résultat", c'est nous. Juste nous. (C'est ce qui fait que c'est tout de même moins dégueulasse : on fait moins croire, accroire que ça nous dépasse, qu'on ne "maîtrise" pas, que ce serait "beau", "plus grand" ou "indicible" ; puisqu'on vous dit que c'est nous !)
Bien sûr, si on renverse les choses, c'est le faux artiste qui est le plus obsessionnel et le vrai qui se "maîtrise" (ou plutôt qui se maîtriserait dans sa façon de ne rien maîtriser, ce qui prouve bien qu'il tient définitivement à embrouiller son monde) ; en réalité, secrètement, les vrais artistes nous envient, ils savent que c'est nous, les faux artistes, qui tenons l'art, son origine, dans nos mains. Trop fragile pour nous, bien sûr, trop fragile pour nos mains fragiles, alors on le laisse se briser au sol, en en étant fiers qui plus est, c'est notre façon d'être "bruts", il paraît, "naïfs", sauf qu'alors on mime la façon "vraie" ; non, on ne fait rien tomber, on maîtrise bien tout et c'est sans doute cela qu'ils (les vrais) ont choisi de laisser tomber (ce sont eux qui tombent dans l'art, qui s'y "consacrent"). Le solipsisme de la "création", on l'assume jusqu'au bout, on ne se pose même pas la question de s'en "sortir" ou pas, on suit juste ce qu'il faut suivre, on est ce qu'il faut être ; celui qui prend le chemin du "devenir vrai", il se débarrasse de tout ce qui est trop de l'art, de tout ce qui est de trop dans l'art, pour faire l'art qu'il montrera – l'art qu'il ne montrera pas devenant alors, magiquement, de façon pour moi rigoureusement incompréhensible, hors de vue, hors de propos, renvoyé dans le champ du "faux", du "raté", du – si vous me permettez le jeu de mot – "hors d'œuvre".
Nous, les faux, on est toujours hors. 
Oh, c'est pas tant qu'on en est toujours fier, on n'est pas plus meilleur qu'un autre, au contraire.
C'est juste qu'on n'y croit pas. On n'y croira jamais.
On ne croira jamais en l'art.

25 novembre 2021

Il est clair que les autres n'existent pas.Preuve

Il est clair que les autres n'existent pas.
Preuve irréfutable : c'est quand ils nous manquent le plus qu'ils existent le plus.
Ils semblent nous dire, de loin, "hé ben fallait tout faire pour que j'existe aussi quand je ne te manquais pas, quand j'étais là !", sauf qu'alors on était pris par autre chose, par ce qu'on appelle le temps (ou ce qu'il faut faire durant celui-ci).
Quand il n'y a plus que l'autre et son manque, on est hors du temps, on regrette le temps où sa présence était effective, cette présence dont on aurait dû préserver pour toujours l'effectivité, sauf que c'est justement quand la présence est effective qu'on a autre chose à faire, que l'on n'ose penser à quand elle ne le sera plus. On est dans le guidon, alors que toutes les données du futur, les données du futur du manque, de la présence-existence plus forte que tout mais non effective, sont en train d'être construites à notre insu. Le temps travaille toujours contre nous, même lorsqu'il a le goût de l'action, de l'accomplissement.

Je ne suis jamais arrivé à comprendre comment je devais engendrer mon temps, comment le répartir entre les différentes émotions. Je veux bien que les autres n'aient souvent pas le temps, mais s'ils n'ont actuellement pas de temps (pour moi), ça veut bien dire qu'il a fallu qu'ils offrent de leur temps plus que de raison un jour à quelqu'un d'autre. Or, instantanément, lorsque l'autre mérite notre temps, que le temps que l'on pourra lui allouer se justifie, c'est comme s'il perdait alors son statut d'autre : c'est alors l'un de nous, celui pour lequel on ne comptera quasiment plus notre temps tellement l'on compte pour lui et qu'il compte pour nous. Laissant alors derrière nous, de façon plus ou moins insouciante ou négligente, tous les autres qui restent des autres (qui nous apparaissent parfois ainsi sans que l'on ait eu l'impression de le choisir : ça aurait pu, peut-être, être autre chose... mais non, maintenant c'est un autre et alors il ne se situe plus dans notre temps, il est littéralement d'un autre temps, sans que l'on puisse souvent déterminer à partir de quel moment la transition s'est faite).

Bon, si tout cela était pleinement revendiqué, "vous savez, en réalité, personne n'existe, alors ne t'en fais pas !", on pourrait accepter ça, on pourrait continuer comme ça. Sauf que l'on a l'air de penser qu'il y a vraiment des autres, que l'on nie dans le même temps en les extériorisant, les expulsant de notre temps (ou en les y faisant entrer mais toujours comme "dans notre temps", donc d'emblée en les séparant de notre réalité, dans laquelle ils ne peuvent que s'insérer à défaut d'en faire pleinement partie – ce qui nécessiterait de sortir de la vision géométrale de type temps-espace qui n'est que le regard d'un dieu hautain et calculateur sur sa vie). 
On pense encore qu'il y a des autres, on se fait croire ça et on leur accorde encore (c'est si charitable !) du temps. Concession que l'on fait le plus souvent en serrant les dents, car vite hâte de rentrer chez soi, avec nous. Que ce "nous" comprenne une, deux ou davantage de ce que l'on nomme inadéquatement "personnes" n'a que peu d'importance : l'essentiel, c'est d'être loin des autres. Que ça ressemble le plus possible à leur non-existence. C'est cela, le plus grand travail du temps, ce qui prend le plus de temps : le temps que l'on prend à s'en éloigner, à tout faire pour que l'on se retrouve le moins possible à être avec eux. Tout ce qui pourra rappeler le guidon, tout ce qui pourra rappeler le "nous-cocon", tout ce qui pourra rappeler le néant, la non-existence des autres (et par conséquent la non-existence de soi, je veux dire si on a une idée d'un soi un peu plus élevée que celle d'une pierre roulant dans un fossé, d'un mécanisme d'automate ou d'une larve aveugle et sourde) est recherché sans que l'on y compte notre temps. Et ainsi, magiquement, nous pourrons répondre qu'on ne l'a plus, le temps. Qu'il a filé. Que les autres auraient pu nous manquer, oui, mais qu'on a oublié jusqu'à l'esquisse de cette possibilité, bien trop occupés à se concentrer sur l'effectivité de leur non-effectivité. C'était si rassurant de savoir qu'ils n'existent pas.

Problème : ils renaissent toujours. Ceux que l'on n'aurait pas pensé voir devenir autres se réveillent un jour ou l'autre (ou plutôt, nous réveillent) en l'étant. En l'étant bel et bien. 
Et là, ah c'est con, mais on découvrira qu'il (par exemple lui) nous manque. Car c'est le principe d'être d'un autre, quoi que l'on ait pu se faire croire, se masquer pour le nier : de nous manquer. 
Et alors c'est lui qui n'aura plus de temps, qui se situera dans un temps alors qu'il n'était avant dans aucun de spécial. C'est lui qui ira faire son temps dans son temps, avec les autres autres. 
Il nous manque alors de plus en plus, et c'est sans doute bien fait pour notre gueule. Fallait pas se mettre à croire qu'il existait trop.
C'est un autre désormais, et peut-être bien que ça l'a toujours été.
Il n'existe pas, voilà tout.
Les autres n'existent pas, on se l'était pourtant déjà assez répétés entre nous. Entre soi. Entre soi seul.
Soi tout seul.

24 novembre 2021

Devenir chaque jour un peu plus étranger à

Devenir chaque jour un peu plus étranger à moi-même, au monde qui m’a vu naître.
Les malaises aident, sans doute : comme si à l’issue de chacun d’eux, je repartais à zéro, en ne parvenant plus à me souvenir clairement des raisons qui m’ont conduit là.
Mais dans le même temps (et c’est peut-être ce qui est le plus difficile à faire comprendre), avec les années, de plus en plus d’empathie envers tout ce qui m’entoure : en même temps que je me sens comme un point isolé au milieu, que la solitude s’est faite de plus en plus concrète, je saisis de mieux en mieux les adhérences de chacun, ce qui le fait se mouvoir (tandis que, pour ma part, je n’arrive plus à pouvoir choisir ce qui doit plus ou moins me mouvoir plutôt qu’autre chose).
Est-ce qu’on pourrait faire jouer la causalité ? Redisons : c’est parce que je me sens de plus en plus comme ailleurs que je me sens auprès de chacun. Ou disons : c’est parce que je me sens toujours plus percuté par ce que dégage chacun que je me sens de plus en plus comme hors de tout.
Les deux marchent ou ni l’un ni l’autre, on peut simplement les dire en même temps sans savoir ce qui fait marcher l’autre. C’est juste les deux.
Je ne sais pas si c’est vraiment mystique. Le mystique n’est jamais clair, lui aussi joue, il joue trop de l’idée de lui-même ; on ne sait jamais s’il doit se rejoindre ou se nier, il dit que c’est les deux à la fois pour embrouiller tout le monde. Je ne veux embrouiller personne, je commence à bien trop les comprendre et les aimer pour pouvoir les embrouiller. C’est moi qui m’embrouille, je ne sais plus ce que je fais là, si ce n’est faire ce que je suis en train de faire (ce qui n’est déjà pas rien, ceci étant dit sans aucune ironie).
Où l’on voit (du moins, j’ai l’impression) que le développement personnel n’a rien compris avec ses injonctions à la reconnexion (ou à la déconnexion, ce qui, on l’a vu, revient au même, n’est qu’une manière d’embrouiller), car c’est en ayant toujours plus de rapports émotionnels heurtés, forts, habités avec le monde que je m’apparais chaque jour un peu plus comme sans rapport avec lui, je veux dire au niveau de l’origine : je ne comprends pas comment il a pu m’engendrer, qui donc a bien pu m’engendrer. Chaque jour un peu plus proche de la vérité, chaque jour un peu plus sans raison d’être.
À défaut d’y trouver une quelconque justification – qui, de fait, ne peut apparaître dans ces conditions ou sentirait l’embrouille –, je persiste à y trouver une certaine beauté. C’est ma façon à moi de continuer.

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