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28 mars 2021

Les autres n'existent pas M : Vous voulez

Les autres n'existent pas

 

M : Vous voulez vraiment entendre parler de moi ?

A1 : Oui, enfin pour mon article.

M : Pour votre article ?

A1 : Oui, ou mon émission, bref ce sera pour faire savoir. Vous inquiétez pas, je serai neutre.

M : Je comprends pas ce mot. Tout ce que je veux comprendre, pour m'y préparer, c'est comment vous me parlerez. Qu'est-ce que je pourrai entrevoir de vous à travers comment vous me considérerez.

A1 : Ah mais rien, vous ne saurez rien de moi. Je veux juste vous faire savoir vous, vous faire savoir à ceux qui m'entendent.

M : Mais à qui ? À la cantonade ? Ça existe pas. Je connais que des gens, des autres.

A1 : Je vous redis : ne vous inquiétez pas, je ne serai ni spécialement bienveillant, ni spécialement malveillant.

M : Ah donc vous n'existerez pas, en gros ?

A1 : Je ferai mon boulot : j'exposerai les choses, je chercherai à savoir. Je me ferai la voix de ceux qui veulent savoir ce que vous avez à dire.

M : Mais c'est qui ? Et comment être sûre que quand vous direz quelque chose, ce sera bien vous qui le direz ?

A1 : Aucun moyen de le savoir, je ne dévoilerai pas mes penchants : je me ferai parfois l'avocat du diable, parfois l'avocat de l'ange ; parfois l'avocat du sachant, parfois l'avocat du benêt. On ne saura jamais ce que je pense de quoi que ce soit, je me tiendrai entre les flots pour faire advenir la nuance à apporter à votre parole. 

M : À apporter ? Mais pourquoi faudrait-il lui apporter quelque chose ?

A1 : Parce que c'est ça le principe de l'esprit critique. Je suis journaliste.

M : Je vous laisse, je veux être sûre de pouvoir parler à quelqu'un.

 

M : Et vous, vous voulez vraiment entendre parler de moi ? 

A2 : Oui, enfin pour mon article.

M : Ah, vous aussi c'est pour un article ? Ça vous avance à quoi ?

A2 : Un article mais fouillé, qui prend le temps. Et vous, ça vous avance à quoi de me parler ?

M : Oh, vous me posez une question sur moi, c'est déjà un point touchant. Vous vous intéressez à moi ?

A2 : Oui, vous êtes représentative.

M : Comprends pas ce mot. Ce que je veux comprendre, pour m'y préparer, c'est comment vous me parlerez. Ce que je pourrai entrevoir de vous à travers comment vous me considérerez.

A2 : J'ai beaucoup réfléchi à ce sujet mais ça me regarde. Je ne vous dirai pas pourquoi je vous interroge.

M : Comment ça ? Vos raisons sont-elles à ce point inavouables ?

A2 : Au contraire, mais je ne voudrais pas qu'elles vous influencent. Qu'elles influencent vos dires, je veux dire.

M : En quoi c'est un problème que quelque chose influence mes dires, puisque vous voulez que je vous parle ?

A2 : Parce que ce n'est pas n'importe quels dires que je recherche. Mais je ne vous dirai pas lesquels.

M : Je vous dérange tant que ça dans ce que je suis ?

A2 : Au contraire, mais je veux être sûr que ce soit bien vous.

M : Si je vous dis que c'est bien moi, toujours moi, vous faites quoi ?

A2 : Je note, mais je reviendrai quand même à mon fil. Il faut un fil pour espérer être sans filtre, si je peux me permettre cette image.

M : Mais c'est vraiment moi qui vous intéresse ? Comment je saurai qui vous êtes, ce que vous pensez de moi ?

A2 : Vous ne le saurez jamais, du moins dans un premier temps. Je vous enverrai les résultats de l'enquête.

M : Pas de possibilité de compte-rendu de vos réactions avant cela ?

A2 : Pas. C'est le principe de la distance scientifique. Je suis sociologue.

M : Je vous laisse, je veux être sûre de pouvoir avoir quelqu'un en face de moi.

 

M : Et vous, c’est vraiment moi que vous voulez entendre ou juste ma parole ?

A3 : Houla, vaste question qui forme tout le nœud du problème. Il n’y a pas de doute qu’à travers vous, ça parlera, oui.

M : Comment ça ? Le fond qui vous intéresse, c’est les dires ? C’est eux qui sont la vérité de ma personne ? Je croyais que c’était l’inverse (que c’était ma personne qui était la vérité de mes dires).

A3 : Vous vous situez dans de fausses alternatives, comme tout le monde. Ce n’est ni vous, ni pas vous, ni spécialement vos dires à vous. Ce sont des dires à travers vous. Et ça oui, ça m’intéresse.

M : Mais quel rapport ai-je avec eux ?

A3 : Oh, plein ! Plein de rapports. Vous avez tout construit à partir d’eux. Vous vous en êtes fait une étoffe, mais elle est à déchirer pour en connaître la structure.

M : Je ne sais pas si je vous le permettrai, c’est tout de même un peu intime… Mais enfin, si c’est pour qu’on se connaisse, moi ça me va.

A3 : Hé hé, oui, vous croirez me connaître, c’est bien ça le truc. Continuez à le croire, ça vous poussera en retour à vous connaître mieux.

M : Hein ? Ah mais ce sera comme un jeu, une mise en scène ? Le but ce sera seulement moi avec moi ?

A3 : Appelez ça « mise en scène » si vous voulez, en tout cas oui, c’est bien vous qui devez advenir. Je ne le ferai pas à votre place.

M : Vous ne devez pas advenir, vous ? Vous ne serez pas là avec moi ?

A3 : Je m’effacerai d’autant que je peux. Je saurai ponctuer quand il le faut, mais sans prendre toute la place, je le redis : c’est votre place à vous, asseyez-vous.

M : Oh mais vous n’êtes même pas en face ? Donc c’est bien ce que je disais, c’est comme si vous n’étiez pas là ?

A3 : Le support est là. Je suis un support, pas plus, pas moins. Je suis psychanalyste.

M : Vous m’excuserez mais je croyais parler à un être humain, au revoir.

 

M : Ils me font chier tous ces gars dont le principal but semble être de ne pas exister vraiment… Toi au moins tu existes, Gino ?

G : Mais oui Maria, tu sais bien que j’existe. Depuis tout ce temps, hein…

M : Oui mais n’empêche qu’en parlant de temps, eh bien ces derniers temps, tu… tu as tendance à…

G : On en a déjà parlé, Maria, tu le sais bien ça aussi : j’ai quelqu’un. J’ai quelqu’un, quoi.

M : « Quelqu’un »… Tu me réponds toujours ça mais je ne suis pas plus avancée. « Quelqu’un », je vois ce que c’est (en gros), mais « avoir »… Comment peut-on « avoir » « quelqu’un » ?

G : Ben c’est que ça prend du temps, tu sais ! On en revient toujours là… Il faut prendre le temps de partager des choses avec celle que l’on a choisi. Elle le mérite. Et on le mérite nous aussi.

M : Et moi tu m’as pas choisi ? C’est parce qu’on se connaît depuis « trop de temps », c’est ça ? C’est ça que tu répondrais ?

G : Toi c’est pas pareil.

M : Hop, je connais cette formule et d’ailleurs elle ne me pose pas problème : personne n’est pareil à qui que ce soit. Mais pourquoi ça voudrait dire que tu peux pas me considérer comme quelqu’un d’aussi dense que l’autre ? Pourquoi le périmètre s’est-il forcément restreint depuis qu’il y a l’autre ?

G : Avec l’autre, c’est la vie à deux, quoi. Tu sais ce que c’est…

M : Non, justement, pas trop. Ou disons simplement le versant arithmétique ; attends, tu vas voir, je nous compte : moi ça fait 1, toi ça fait 2. Nous aussi on est deux, aussi. C’est pas la vie, nous ? On compte pas dans la vie ?

G : Écoute, je serai toujours là pour parler avec toi, c’est juste que…

M : T’es sûr que ce sera « toi » qui seras là ? Le « toi », il est pas seulement là-bas, avec elle, l’autre ?

G : …Ah ben j’ai la tête ailleurs depuis que je l’ai rencontrée, oui. Mais je ne t’oublie pas.

M : Mais comment savoir si c’est vraiment toi, si en même temps tu es ailleurs ?

G : Écoute, on reprendra une autre fois, là justement je dois rentrer. C’est l’heure.

M : L’heure que vous soyez ensemble ?

G : Oui, si tu veux. C’est le principe du truc, tu l’auras compris. Je suis amoureux.

M : Tu as changé. J’ai l’impression que tu existes moins. Un peu comme les autres dont je te parlais.

G : Bon… À bientôt ?

M : Je sais pas. On sait jamais avec eux. Avec les autres, je veux dire (vu que maintenant tu en fais partie). C’est jamais sûr. Même pas le fait qu’ils existent, comme je t’ai dit. Je crois d’ailleurs que c’est ça, que c’est pas le cas. Les autres n’existent pas.

 

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