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Définitivement
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26 novembre 2015

Il ou elle nous accueille dans le hall. «

Il ou elle nous accueille dans le hall. 

« Bonjour, bonjour bonjour. Bonjour à tous. Si vous êtes là c'est que vous êtes a priori partants pour dire les choses – vous êtes venus en famille, c'est bien, vous verrez ça ira c'est prévu pour, on a prévu – et quand je dis "dire les choses" je ne veux pas dire "parler sur elles", "faire apparaître des images" et autres fadaises de la sorte, non non non, il n'y aura pas de demandes d'évocations, rassurez-vous, ni de "ce que ça vous fait penser", ça c'est déjà trop penser sur du prépensé, du prêt-à-penser, or le but sera bien – mais c'était écrit sur la plaquette, c'était marqué – de savoir direct, d'intuition instantanée. Bien sûr, pas de stress de l'express forcé, du... du... du pressage pressuré... du style "allez hop, tout d'suite c'que ça vous dit, allez allez hop sinon c'est plus bon", non, halte à l'associationnisme ! Pas d'obligation à dire si ça dit pas, pas de tête à se prendre dans les mains si ça vient pas. Si le mot "psychologie" vient à certains, je leur dis non : tout est social. Je vous verrai en groupe. Les enfants d'un côté, les adultes de l'autre.

Comme on ne peut jamais partir de rien, nous avons – mon équipe et moi, je vous présente Fabrice et Nicole – choisi de nous concentrer sur un ensemble de mots, sur une proposition existant dans la langue comme potentiel condensé de choses à dire et donc à comprendre. Cette compréhension devant rester atteignable dans le court délai qui nous est imparti, ne devant pas nous amener trop loin, à "refaire le monde" comme on dit – ce qui est très bien mais dans un second temps, car dans un premier temps il sera déjà question de le faire ce monde, de le faire tout court, car je vous assure, rien n'est fait, rien n'est encore fait – cette compréhension devant être atteignable, disais-je, nous avons d'emblée éliminé les expressions trop conjoncturelles, qui nous entraîneraient dans des polémiques conceptuelles certes passionnantes mais dépassant les ambitions de notre modeste assemblée, comme par exemple "acte terroriste", "croissance économique", etc. – vous voyez de quoi je veux parler : le politique omniprésent, le "plus grand que nous". Donc point trop de structures mentales extérieures à nous-mêmes, mais point trop non plus d'évidences absolues, il ne sera pas question ici par exemple de "désir créatif", de "besoin d'épanouissement" : coquilles absolument vides. Vous êtes quand même ici pour vraiment dire les choses, oui ou non ? Sans plus attendre, voici donc sur quel mini-groupe d'idées, sur quelles syllabes qui font sens nous avons choisi de baser notre journée : "une bonne grosse bite". Nous passerons notre journée sur ça. "Une bonne grosse bite". Ne faites pas les choqués, j'ai choisi "une bonne grosse bite" comme j'aurais pu choisir "chaise de jardin", "clé des champs", ou... ou... non, j'allais dire "passage clouté" mais vous voyez, dès qu'on veut penser à des faits plus urbains, tout de suite ça devient social, or pour faire apparaître le social, le vrai, l'originel, il faut s'en éloigner le plus possible au départ. "Une bonne grosse bite" m'a paru être l'essentiel, la quintessence du langage à dépiauter : simple, trivial, énonciatif, à la fois déjà référentiel quant au ton employé et au jugement appuyé, donc pouvant être déconstruit, mais suffisamment basique pour avoir un potentiel d'exploration encore prometteur. "Une bonne grosse bite". Ce que ça vous dit, pas ce que ça vous fait. Jouez le jeu. Merci pour votre attention et bon courage à tous. »

(La salle des enfants servait surtout de garderie en fait, car ça rigolait trop pour que cela puisse mener à quoi que ce soit. « Hi hi, une bite ça veut dire un zizi, hi hi, t'as un zizi, on a des zizis, hi hi », bref rien de bien intéressant. On leur a donné des tablettes tactiles et ils ont arrêté de faire chier.)

Chez les adultes : 

« Concentrez-vous, je ne veux pas savoir quelles sensations peut vous faire ou pas de penser à une bite, je parle bien de ce que "une bonne grosse bite", ensemble donné, fixe de mots vous fait dire, savoir et donc ressentir forcément oui mais ne vous laissez pas méprendre, ne restez-en pas à l'affect-cliché, stéréotypé, vous êtes bien plus que ça ! »

Thomas a l'air intimidé mais il se lance :

« Franchement c'est pas facile de pas faire parler ses... ses impressions parce que franchement direct c'est connoté direct, ça fait tout de suite penser à la fille qui aime ça ; je fais rouler ces mots dans ma tête : "une bonne grosse bite", "une bonne grosse bite", et là direct c'est perturbant parce que je me dis qu'une fille peut aimer ça et ça me fait tout drôle, ça... ça fait bander quoi, c'est pas tant que je vois la fille, c'est que j'imagine une fille dire "une bonne grosse bite" et qu'elle aime ça, de le dire et d'y penser mais surtout de le dire, et ça franchement c'est gênant, je... c'est vraiment le langage qui est gênant jusqu'au bout, beaucoup plus que l'organe... se dire qu'une fille puisse se dire ça, ou même mise en face de ce groupe de mots à son insu, et trouver que... que... que c'est bien ou que... que c'est marrant, que...

– Tiens moi au contraire c'est quand la fille aime pas, quand on lui met bien devant sa gueule et que ça lui dit trop rien, que ça me rend tout chose ! »

On s'attendait à ce genre de réplique mais quand même ça laisse un blanc et on préfère inciter quelqu'un d'autre à prendre la parole.

Les interventions suivantes traitent du machisme flagrant de la proposition étudiée.

Mais ensuite, quelqu'un :

« Soyons sérieux, quand vous entendez "une bonne grosse bite" vous pensez vraiment à un salaud sérieusement lourd, à du porno premier degré ? Avouez que non, que vous en riez direct. Parce que c'est trop gros, sans mauvais jeu de mot. "Une bonne grosse bite" c'est la parodie, l'indécrottable parodie, c'est ce sketch où l'on ne sait plus si l'on rit des beaufs ou si l'on rit beauf, c'est cet humoriste grimé en attardé à bedaine qui dit "Jacqueline aime se prendre une bonne grosse bite" et ça fait marrer tellement qu'il a l'air attardé, sauf qu'au final c'est bien "une bonne grosse bite" qui en ressort. La contrefaçon rigolarde, ça célèbre et entérine les porcs. On ne peut que se placer par rapport à eux. Donc on meurt. On n'est plus que "une bonne grosse bite". »

Silence. Mais respect cette fois-ci, bien entendu. On est content que tout cela serve à mettre à nu le postmodernisme, on se doute que c'était le but visé. On va enfin pouvoir s'arrêter de regarder des vidéos sur internet.

(On entraînera les enfants avec nous ou ils le comprendront quand ils le comprendront ? Grande question.)

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