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Définitivement
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19 février 2014

Des cases bien tracées, un lettrage plein

Des cases bien tracées, un lettrage plein d'emphase, un peu vibrant, un peu rond, des formes qui font et se défont, des fluides disséqués avec un trait net, un récit qui se passe ailleurs, qui veut mener quelque part et découvrir un but. Moi aussi je pourrais le faire mais j'ai pas envie. Les mots m'appellent, besoin d'aller au bout du bout de ce qu'ils peuvent vouloir dire. Dessiner c'est déjà vouloir mettre un pied, ça doit tenir debout, nous voyons les êtres. Pour moi c'est déjà faire violence, c'est éroder à force d'appuyer. J'aimerais juste avancer sans marcher, juste frôler sans toucher, pour laisser libre cours à des déploiements trop longtemps circonscrits par mes fatigues.

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12 février 2014

Après Michaux Amygdalectomie. J'ai droit à une

Après Michaux

Amygdalectomie. J'ai droit à une pompe à morphine. Est-ce bien la peine ? Mais je dois essayer, au moins pour s'assurer que ça fonctionne bien (les deux fois où j'appuierai sur le bouton seront commanditées).

Je ferme les yeux et soudain, du rouge, du rouge en plein, uniquement rouge, obscènement rouge, incommensurablement rouge. Les matières ont des grammages différents mais servent toutes à la gloire du rouge. Ici c'est granuleux, là ça se soulève clairement comme un coeur qui bat, là on est dans le pigment pictural, on passe du corps à l'art et même au cartoon, ici ce sont plein de petits oiseaux rigolos (rouges, donc) qui lèvent leur unique patte en choeur, comme des petites majorettes psychotiques (car bien sûr il y a boucle sans fin). Je regarde l'intégrale des Shadoks ces jours-ci. Tiens, n'y aurait-il pas une rangée bleue parmi mon fourmillement aviaire ? Mon cerveau se rend bien compte que Rouxel n'accepterait pas cette unité colorée. Ça se termine là.

Ce que je ne dis pas, c'est que je peux à tout moment faire cesser le jeu en ouvrant les yeux. C'est ce double mouvement si radical, si peu subtil, c'est ce retour arbitraire à la réalité qui rend la chose intolérable. Je ne suis pas ici dans l'hallucination, je suis dans l'engouffrement gratuit et volontaire dans le rouge : il me suffit de fermer les yeux et j'y plonge, il me suffit de les rouvrir et je m'en libère. Grotesque séparation des tableaux. Négation de la porosité du rêve, on passe d'un extrême à l'autre. La chambre n'accepte pas le rouge et le rouge n'accepte pas la chambre. La morphine, ma morphine tout du moins, ne sait pas créer le mélange. Je suis décidément rétif au déréglement des sens.

Je ne rappuierai pas sur le bouton. Ça ne passe pas. On me l'enlèvera. Il faut parfois se faire écouter.

7 février 2014

Les BD qui marchent ont un sujet fort, tout de

Les BD qui marchent ont un sujet fort, tout de suite rassembleur, tout de suite percutant. Ça a marqué l'homo sapiens dans sa chair, comme la maladie de sa tante, comme cette guerre dont il a entendu parler, comme ce pays dans lequel il n'est jamais allé. Qu'elles soient fictions ou reportages, les BD qui marchent coulent tout de suite dans le gosier de nos émotions les plus anthropologiques. On les retient tout de suite.

J'en ai rêvé d'une qui pourrait bien marcher. N'importe qui peut me prendre l'idée, je n'aurai jamais l'envie de la faire.

Ça s'appelle "Muette". Le début est dessiné à la main, en couleurs directes, il y a un peu de texte. Une femme, une vieille fille, vit seule avec sa mère, sa vieille mère. Boulot merdique, vie routinière, désabusée mais pas désespérante car faite de menues joies épicuriennes. Profil clairement intellectuel. Puis soudain, un jour, elle rentre chez elle et découvre sa mère morte, sûrement agressée car on ne lui connaissait pas d'affection grave (du moins c'est ce que l'on comprend). À partir de ce moment et de cette case, le dessin devient rigide, fait à l'ordinateur, en bichromie grise et il n'y a plus aucun mot. La meuf a perdu la parole tellement qu'elle est choquée dans sa life, et du coup la BD aussi devient muette. Il y a une sorte d'enquête policière qui se fait ensuite mais comme la nana n'arrive à rien dire, c'est pas facile. Les séquences sont forcément de plus en plus simples car faire du polar sans paroles n'est pas évident. On arrive quand même à saisir qu'au bout du compte c'était pas un crime, que la vieille s'est suicidée parce qu'elle était trop déprimée de vivre une vie déprimante avec sa fille aigrie. (Oui oui, tout ça est expliqué sans mots, c'est pour ça que ce sera reconnu par les instances du neuvième art qui salueront la performance.) On pourrait penser que ça minerait définitivement la fille, mais non, hop, elle retrouve la parole et la BD reprend des formes et de la couleur pour nous dire que l'essentiel est de savoir les choses, que maintenant qu'elle sait que sa mère était dépressive à cause d'elle, elle a enfin réglé un truc et qu'elle va se débrouiller pour mener une vie épanouissante qui aurait plu à sa mère si elle était encore de ce monde. Fin.

Bon, je veux tout de même 1% des ventes si c'est primé à Angoulême. ©

6 février 2014

Radio Animaux (2ème version) Les infos, ça

Radio Animaux (2ème version)

Les infos, ça concerne que les homo sapiens, donc on se dit que forcément ça doit parler que d'homo sapiens. Super comme mentalité. "Alors il s'est passé ça dans telle partie du monde avec des homo sapiens", "alors des homo sapiens ont fait ça", "des homo sapiens ont dit ça", "des homo sapiens ont protesté contre ça", c'est bon on a compris qu'il y a des homo sapiens, on peut pas élargir notre vue ? J'aimerais entendre parler le matin de ce qu'a fait ce coati au Mexique, de ce qu'a senti cette mangouste du désert, de ce qui a étonné ce capybara. Ça m'intéresse tout autant.

Alors bien sûr, chacun ses espèces favorites, chacun ses sujets de prédilection, on ne pourra jamais satisfaire tout le monde, mais c'est justement de tout le monde qu'on doit parler, de tout le monde entier, de toute la vie. Or, ce qu'on entend sur nos ondes ce n'est qu'homo sapiens, homo sapiens, homo sapiens, et quand on regarde ailleurs c'est juste par charité, c'est pour tout ramener à nos problématiques d'homo sapiens, qu'elles soient faites d'auto-satisfactions ou de culpabilités. On pourrait pas en sortir un peu, dis ?

 

(La première version de Radio Animaux a été publiée sur Vents Contraires en 2012, la voici.)

4 février 2014

Il y a parfois des hommes si divins qu'ils vous

Il y a parfois des hommes si divins qu'ils vous dégoûtent de l'humanité : les autres vous semblent encore plus minables à côté.

Une espèce d'esprit suffisant, de morgue sentencieuse, quelque chose qui sonnait déjà familier donc qui ne pouvait que parler haut et fort : il avait devant lui l'aphorisme qui résumait tous les autres ! Il en était le créateur original. Il allait enfin pouvoir écrire cette étude qui lui tenait tant à coeur depuis des années.

 

Il y a parfois des hommes si divins : Le parfois c'est l'air de rien, c'est histoire de dire que quand même on est difficile, que ça n'arrive pas tous les jours, qu'on ne nous la fait pas, que par définition l'exception est exceptionnelle. Car le superlatif divins, suffisamment extrême et lapidaire pour être aphoristique, c'est bien l'exception qui confirme la règle. Oui, on rencontre parfois des hommes aimables, mais tout le reste à jeter. Vous remarquerez que la suite de la phrase dit exactement la même chose donc qu'on pourrait tout aussi bien s'arrêter là. Mais ce serait raisonnable, or l'auteur d'aphorismes est dionysiaque, il se complaît dans tous les excès de langage : en appeler au caractère divin du bon convive si rare, c'est réconcilier le mysticisme et le nihilisme mondains. Solidarité des bouches en cul de poule. Tous unis contre l'humanisme. Nous y venons justement.

qu'ils vous dégoûtent de l'humanité : La notion de dégoût est obligatoire dans tout aphorisme de jugement sur autrui, pour la raison évidente qu'il se professe en mangeant goulûment donc la bouche pleine et que c'est mauvais pour le transit. Ce n'est que pour ça que les cerveaux hautains et blasés raffolent du dégoût : il est inclus dans toutes les sauces. L'Homme est dégoûtant, la preuve : il mange ! Tous dans le même panier, c'est juste du bon sens. C'est de là que vient le caractère généralisant de l'aphorisme méprisant à visée universelle.

les autres vous semblent encore plus minables à côté : Du remplissage, comme on l'a dit. On l'avait déjà compris au bout des quatre premiers mots. Tous cacas, tous nuls, tous salauds, tous pervers. Et on s'inclut dans le lot car ce n'est pas drôle d'être le seul à être malsain, ça fait des partouzes moins rigolotes.

 

Oui, il avait écrit LA phrase définitive de la littérature aphoristique, c'était prouvé noir sur blanc. Il pouvait enfin mourir tranquille puis entrer au Panthéon.

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